Demande à la poussière

Demande à la poussière

Recueil #1 - Ce qui nous arrive

ce qui nous arrive

 

 

 

 

CE QUI NOUS

 

ARRIVE

 

 

 


 

 

 

 

 

A Virginie, Lilou, Malo.

 

 

A mes maîtres, mes amis.

 

 

Et bien sûr à toi, Him,

père de la multitude et visage

de ce poème.

 

 

 

 


 

 

 

 

 

"On n’est pas assez intelligent pour

comprendre la bêtise de l’autre."

 

Philippe Gouttard

 

"Écoute encore… une couche plus profonde… Homme ! toutes choses visibles ne sont que des masques de carton-pâte. Mais dans chaque événement… dans l’acte vivant, le fait indubitable… quelque chose d’inconnu mais doué de raison porte, sous le masque dépourvu de raison, la forme d’un visage."

 

Herman Melville, Moby Dick.

 

 

"Feindre est le propre du poète.

Il feint si complètement

Qu’il en arrive à feindre qu’est douleur

La douleur qu’il ressent vraiment."

 

Fernando  Pessoa

 

"On écrit parce que personne n’écoute."

 

Georges Perros

 

 

 

Lire le pdf (133 pages) : Ce qui nous arrive.


CE QUI NOUS ARRIVE

 

Poème

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pareils aux flots de la mer agitée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Par des vents contraires.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nous flottons.

 

 

 

 

 

 

 

C’était une nuit, au camping. Je me suis levé pour leur demander de faire moins de bruit.

Il était deux heures et demie du matin. Je ne me rappelle plus le ciel, comment il était. Pas d’étoiles dans mon souvenir, même la lune est absente.

 

Juste la nuit épaisse, gluante, et leur petite caverne brillant dans cette obscurité, comme un joyau maudit.

 

 

 

 

 

 

 

Tout cela. Tout. N’est pas. Bien grave. Pas bien. Grave. Qu’on n’en parle plus. Ecoute-moi. Ecoute, écoute bien : la réalité n’a pas besoin de toi. Poème. De moi. Pas besoin. Besoin. Peut-être. Arrivé, pas. Il faut penser, il faut penser, penser. En terme de livre. Qu’il disait. Livre, diagramme, idée. Penser, penser. Non, sentir. Une chose que l’intelligence ne peut pas connaître. Dire. Pas bien important. Pas bien. Peut-être ne s’est-il rien passé. Au fond. Ne s’est-il. S’est. Alors, je. Tu peux raconter, pour voir. Tu te rappelles, enfant ? Où sont-ils ? Je ne les vois plus. Perdu dans les rayons. Les bois. Perdu. Enfant. Et le jour où ton bateau pneumatique s’est éloigné du rivage. Tu riais, au début. Perdu, enfin. Tu comprends ? Montée des larmes: poitrine, gorge, bord des yeux. Où suis-je, où ? J’ai peur.

 

Pas bien grave. Réel. Pas. Appât.

 

Tu peux essayer.

 

 

 

 

 

 

Le premier qui vient, je. Je lui la. Je la lui. Pète. Bim. Bam. Boum. Le premier. Je. Lui. Le premier. Le prochain. Je la lui pète.

 

Je te jure.

 

 

 

 

 

Pourtant, rien. N’arrive, n’est arrivé. Sauf pour ceux qui ont senti que. Ceux-là. Quelque chose en nous. Onde scalaire. Champ. Chant. Une vibration. L’épreuve ne tourne jamais vers nous. Rien. On a beau essayer, retourner, arracher, ce qui nous arrive pèse toujours un petit peu, même rien. Pèse. Même, même rien, môme rien, rien, rien. Môme. Mes enfants. Tes enfants. Sans famille. Presque presque presque. Rien. Néant. Que dalle. Presqu’île.

 

Partie saillante, reliée à la mémoire nourricière par une étroite bande de terre. J’en connais une qui forme un petit trident et la branche centrale d'un plus grand trident rocheux, à l'ouest, avec ses trois pointes.

 

Le visage que nous attendions. Jamais.

 

 

 

 

 

 

 

Pas quoi dire.

 

 

 

 

 

 

 

 

Tu fais des rencontres. Tu croises, tu frôles un nombre incalculable de personnes, dans ta vie. Incalculable. Principe d’incertitude. Le visage que nous attendions. L’inconnu qui passe. N’oublie pas. Et toi, l’étrange continuité qui te définit. Regarde, quelqu’un arrive. La sensation de la présence de l’autre. Il peut parler, aussi, chanter, vociférer. Au fond de. Crénom. Tu croises. Dans la vie. Parfois le fer. Le prochain. Aime-le. Même si. Même. Quoi ? Je connais son nom. Ce qui nous arrive nous arrive. Nous est arrivé. A quoi bon? A quoi beau. Le beau, le bon. Le Bien. La réalité est ailleurs. Les Idées. Conscience intuitive extraneuronale. Ha bon. T’as lu. Pour trouver du nouveau. Tout est bon. Tout arrive : prends, prends, ouvre. Ouvre. Jusqu’à épuisement total. Rupture de stock. Prends tout. Ce qui arrive. Un poème, tout finira, prends tout, tout, tout. Tu verras bien, après. Ce que ça deviendra en lui, en toi, chez l’autre, le prochain. Ce qui arrivera. Celui qui. Non, rien. Presque presque presque. Rien. Néant. Fresque rien. Que dalle. A fresco. Peau de zébi. Je ne sais pas ce que ça veut dire.

 

 

 

 

 

Celui qui arrive arrive. Le proche, le prochain. Aime-le comme toi-même. Putain. Aime-le.

 

Him. Bramant dans la nuit.

 

Aime-toi comme lui-même. Aime comme. Aime.

Merde. Malgré la nuit assourdissante, malgré les mots jetés dehors, dedans.

 

 

De nombreux objets célestes croisent l'orbite de la Terre et sont inévitablement attirés par la gravité de notre planète. Il suffirait d'un astéroïde de plus d'un kilomètre de diamètre pour mettre fin à l'humanité.

 

Prépare-toi à l’impact. Il va croiser ta route, traverser ta vie, brûler en laissant derrière lui une trace extrêmement lumineuse. Bolide. Tu n’as aucun plan pour le faire dévier de sa trajectoire. Aucun. Tu n’as même pas imaginé qu’il puisse apparaître. Ses mots vont fuser dans la nuit, se désintégrer dans ton cœur, étoiles filantes éphémères, constellation glacée.

 

Si une métaphore ne se consume

pas complètement - lors de son

passage dans l’atmosphère – le

fragment qu’on trouve au sol -

s’appelle souvenir – empreinte

 

Poème à l’envers, de plus d’un kilomètre de diamètre. Il pourrait mettre fin, provisoirement, à son humanité. A la tienne.

 

 

 

 

Il faudrait ralentir, mettre un peu d’Irlande. Slow – Very slow – Dead slow.

 

Noté sur ton carnet. Peint sur l’asphalte, dans ta mémoire.

 

 

 

 

 

 

 

Tu peux te lancer, dire quelques mots pour voir. Lance-les. Comme des pierres sur l’eau. Par ricochets, penser. Mais ne raconte pas de salades. Ne crois pas avoir quelque chose à dire, je veux dire, pas vraiment. On essaie parfois, pourtant, souvent. A quoi bon. Bon. Pas envie. Pas le temps. Pas de stylo. Non. Peux pas. Trop, ça fait. Superfétatoire. Raconte. Tu n’arrivais pas à dire le mot superflu en anglais. Il arrive ainsi qu’on essaie de dire quelque chose, je veux dire, à soi, à quelqu’un. Faute de mieux, on se risque à traduire, par exemple, se débarrasser du superflu par to remove what we don’t need. Drôle d’idée, aussi, de vouloir parler d’un écrivain suisse à une londonienne, sur une route d’Espagne. Tu sais, l’écrivain voyageur. Get rid of the superfluous. Peut-être. Dans la langue de Shakespeare. Le voyage creuse en nous, nous élime, nous polit. La Vie aussi.

 

Se réjouir de voir apparaître son visage émacié sous la barbe fraîchement coupée. J’ai vécu. Vieilli. Stigmates. Creusé, délesté. Plus libre. On espère.

 

 

 

 

 

Il allait chanter tout l’été, comme la cigale. Et moi, fourmi pas contente.

 

Petit scarabée.

 

 

 

 

On essaye parfois de dire quelque chose. Comme quand, enfant. Tu m’écoutes. Maman, maman. Parfois, souvent, rien. Coincé. Les mots restent dans la gorge : sang de tourbe, limon qui se dépose au fond. Il faudrait curer, draguer, oui, opérer, à cœur ouvert. Glu de l’émotion, mais aussi bien fleuve qui emporte tout. Entraîne dans son cours des nappes grasses, de vieux bouchons et des épluchures de légumes, un tas d'insultes. Des cadavres sur la langue, comme des troncs sur lesquels on danse. Les mots restent au fond. Sur le bout de la langue. Fils du silence, père de la multitude aphone. Roman fleuve, pas dit, pas écrit. Je ne me sentis plus guidé par les haleurs. Morts-nés. Mots captifs, dans la gorge. Étranglés. Mon émotion : assassinée, un jour. Dans un texte. Méfie-toi, aussi. Les mots de la puissance, sans puissance. Transparence du miroir. Berner, duper, mystifier, posséder. Effacer, dominer.

 

Avec de belles paroles. Mené en bateau. Insidieusement guidé vers les écueils. Récifs. Récits. Insidieusement guidé vers les récits. Les recueils. Tu me racontes. Pas de bobards. Naufrageur, ou pilleur d’épaves. Naufragé naufrageant naufrageur. Tu ne te contentes pas d’aller au bris. Fortunes de mots, de souvenirs. Instants vécus. Ne quitte pas des yeux l’horizon amer, prépare-toi à la catastrophe. Grand feu sur la falaise, lueur incertaine dans la nuit, comme un mot doux, trompeur. Attire vers moi, à travers les brumes mystificatrices du souvenir, les gros navires chargés d’or.

 

Une vache - promenant

à ses cornes un fanal

mouvant a mené, hélas

les vaisseaux sur les

 

écueils Dieu sait hum

quelles scènes! On en

a vu dans la nuit qui

pour arracher – quoi?

 

oh une bague au doigt

d'une femme enfin qui

se noyait lui lui lui

 

coupaient le le doigt

avec les dents toi tu

promènes oui un poème

 

J’en ferai mon chou gras, mon gros sel, je glanerai ce dont j’ai besoin pour mes petites affaires.

 

 

 

 

 

Le prochain qui l’ouvre. Je te jure. Sa bouche.

 

Je la lui pète.

 

 

 

 

 

 

 

 

De ma gueule. Ouverture maximale. Ouverture maximale de ma gueule. Ta gueule. On essaye parfois. Je te jure. On s’évertue. Dire quelque chose. Ouvre-la. Ouvre là. Ouverture maximale. Au max. Maximum, marximum. Communisme des mots vides. Cent-deux tonnes de mots vides en six heures, soit environ quatorze fois le quota demandé. Et pourtant : bavard comme une carpe. Le paterfamilias a parlé. S’est tu. Se tait. Oracle. Je suis le fils du silence. Ferme-la. Ferme là. Solide. Recherche éperdue de consistance. De dire. Extension du. On essaie de créer les conditions de l’ouverture maximale. Tentative de quelque chose. Le geste le plus large, le mot le plus long. Un été, j’ai embrassé une fille pendant au moins une demi-heure. Avec la langue. C’est arrivé comme ça. Une demi-heure. Je n’avais rien à lui dire. Face à l’océan, sur un petit promontoire vert. Silence : la caresse du vent, le festin de la lumière, de l’été. Tu sais, dans le Finistère. La plage devenait immense à marée basse. Immense. Quelque chose se retire en nous, aussi. Silence. Tu peux mourir avant d’avoir dit les mots. Dis les mots. Comme quand, enfant. Dis les mots. Le rituel. Je t’aime t’aime t’aime. Tem tem tem. Thème thème thème. Hum hum hum ( pour se faire remarquer). On essaye de dire quelque chose. Parce que personne n’écoute. N’écoute. Bouche-toi les oreilles. Comme quand, enfant. Et surtout pas de bruit. Que s’est-elle dit, tu crois, durant cette demi-heure... Ce qu’elle aurait dit, si. Ce qu’elle dirait. Utilisation optimale de sa langue. De nos langues. On essaye de dire quelque chose. Hélicoptère. Tourne sept fois ta langue dans sa bouche avant de parler. Laquelle ? Celle de Molière, ou de Tad Koz ? Sept fois. Tourne. Utilisation optimale de ta langue. Papa et maman. Avant de parler français. Interdit de cracher par terre et de parler la langue de ta mère. Ar Vretoned 'zo tud kalet ha kreñv. Tourne ta langue, retourne, fais la vriller, briller. N'eus pobl ken kalonek a zindan an neñv, gwerz trist, son dudius a ziwan eno1. Sept fois n’est pas suffisant.

 

Virginie Woolf a

écrit une lettre

d’amour je crois

de quoi, plus de

cinq cents pages

Sept fois, n’est

pas suffisant et

tu peux hé faire

passer ça – pour

une bio, graphie

Orlando elle lui

a donné ce titre

 

On essaie de dire quelque chose. Personne n’écoute. Dire. Personne. On essaie. Ça arrive, parfois. Mais c’est rare. A travers une toile de tente. Chacun. Tu ne comprends pas bien. Pas tout. T’as compris ? A travers la toile. Le voile. Maya, les illusions. C’est fin, tout fin, ça ne protège pas beaucoup. Surtout une toile de tente. Pas beaucoup. Pas une protection. Ce n’est pas pareil quand c’est dans un cadre professionnel. Chaque personne, chaque objet physique, du point de vue de l'éternité, n'est qu'une goutte d'eau dans un océan sans limites. Tu parles. Ne font qu’un. Qu’un. L’Un. Le sentiment que nous sommes éternels. Pas une protection. A travers une toile de tente : le sentiment que nous sommes mortels. Pas beaucoup. Dieu, la toile. Le vrai nom du démon n’est pas Lucifer. Ya'aqov, cette nuit-là. C’est. Le Malin. Fais pas. Celui qui divise, qui désunit. Moi aussi je fais de la poésie. Peut-être, quand elle sera retombée : Samaë. Celui qui guérit. Acte de naissance.

 

Moi aussi je fais de la poésie.

 

 

 

 

Sous cette toile [qui recouvrait l'avant-scène] se glissaient des enfants chargés de remuer avec les bras cette toile peinte lorsque la réplique indiquait que le moment d'agiter la mer était arrivé.

 

C’était page quatre-vingt dix. C’est moi qui souligne (agiter). Quatre-vingt dix. Un numéro très étrange. M. Moynet, dans son bouquin, tu sais, La Machinerie théâtrale, Trucs et décors. En mille-huit-cent quatre-vingt treize.

 

Le moment d’agiter la mer était arrivé.

 

Sous cette toile.

 

 

L’univers est issu d’une dilatation rapide. Ton poème aussi. Il faut passer par une phase primordiale durant laquelle il est extrêmement dense, chaud et opaque. Pas plus gros qu’une tête d’épingle. Une fois que tu as trouvé la clé, la formule, alors tu peux viser l’ouverture maximale de ta gueule. Pareil aux flots agités. Dilatation rapide. Le temps de le dire. Viser l’ouverture maximale. Nébuleuse de la langue. Comme, tu sais, isola, isola. Te retirer sur ton île, le temps de. Pour que ton univers soit le plus grand possible. Par des vents contraires, agité. Parfois violents. Fais le dos rond. Non redresse-toi. Shisei. Mais le roseau. Le roseau pensant. Non. Comme quand t’étais gosse. Redresse-toi. Pas bien d’être avachi. Et puis le dos. Arrête de rêver. Non, non. Pas envie. Rêver. Tu sais, ne rêvez pas votre poésie, mais écrivez la poésie de vos rêves. Qu’il a dit. Les mots qui pétrissent le cœur, l’attendrissent. Le viande, le style. Tu sais : croc du boucher, bout de la langue. Te voilà pendu à ses lèvres.

 

À la porte de la boucherie centrale, tu vois des poètes manger leur foin à deux pas du mandrin, devant le boucher aux bras rouges, qui les regarde en riant. Langue de bœuf. Comme quand t’étais gosse. Les mots pour le dire.

 

Quel est celui de nous qui n'a pas. Encore lui. Non, pas Him. Tu sais : l’aphasique. Mon semblable, mon frère. Crénom. Rêvé de. Quoi. Assez souple. Ça me revient, tout à coup. Tu sais, une prose assez souple pour. Fais voir un peu. Ça doit venir de quelque part. Épouser quelque chose, à l’intérieur. Pulsation. Histoire de la démence. Arrête. Trouve. Il faut bien. Trouve les mots. Pour le dire. Dans tes jours d’ambition. Une forme, un rythme, un visage. La vitesse d’une insulte ne peut être mesurée. Que de la langue. Et pourtant, avant le déluge, des mots aussi.

 

Ha pardon, on vous a... mais oui, je comprends, la musique… ça vous... désolé, non mais ne vous inquiétez pas, on va... pas de souci, on va.

 

Toi accroupi à l’entrée. Et ton visage dans l’ombre. Quelque chose de souriant et d’amical dans la voix. Dans mon souvenir. C’est vrai que la musique, tu l’as, tu sais, baissée, c’est vrai, je peux pas dire, peux pas dire, peu pas, pas, peu, dire. C’est peu dire. Pas. Je t’ai cru. J’ai cru. Toi aussi, sans doute. T’as cru. Comme on dit. On y croit. On va faire ce qu’on a dit. On l’a fait. C’est le reste qu’on n’avait pas prévu. Difficile. Le temps de sentir la douleur de la morsure. Qui monte peu à peu vers le ciel, comme un poison. Prépare-toi à la volte-face. L’autre est là, aussi. Plusieurs à l’intérieur. Lui aussi. T’as cru. Tu vas l’entendre, le long poème maussade, équivoque, toute la nuit. Tu n’en perdras pas une miette, comme un oiseau gelé. Peut-être, dans tes jours d’ambition, rêveras-tu d’en retrouver l’ahurissante clé.

 

 

 

 

 

 

Essayer de dire quelque chose.

 

C’est fou.

 

 

 

 

 

Ce qui nous est arrivé nous arrive.

 

Raconte. Oh, pas grand-chose, à bien y regarder. A bien y regarder, point d’interrogation. Pèse un peu, un peu. Appuie un peu, pour voir. Tu sais, on va toujours, en fin de compte, quelque part.

 

En fait, rien. Mais ce rien pèse. Tu ne sais pas combien. Peut pas. Être mesuré. Un peu. Point barre. Interrogatoire, prêt pour. Il faut que tu déposes. Toujours la même rengaine. Tu vas répéter ta petite histoire indéfiniment, la même, à quelques nuances près. Assez. Stop. Dépose. Déposition. Pourquoi dit-on : porter plainte ? Le poids des choses, l’insoutenable légèreté. Être léger, léger, et en même temps, positivement gigantesque, gigantesque. Positivement ce que tu veux. Ce qui nous arrive. Nous empreint de quelque chose, nous emprunte, même rien. Infinitésimal, infiniment, infini. Salement, salement. Mal, mâle. D’homme à homme.

 

Ta poésie, c’est de la merde. Vaut que dalle, merde, merde, merde. T’as essayé. Fini, finitude, finement. Nous emprunte, oui, comme un chemin. Une voix.

 

Ce qui nous arrive. Donné. Gratuit, tu peux le ramener chez toi.

 

Pas de service après-vente.

 

 

 

Ta place. Reste à ta place, ne bouge pas. Plus. Surtout pas. Sinon. Tu sais, ça va. Enfin. Tu sais. Mettre le feu aux poudres. L’étincelle. Feu de Saint-Jean. Dans la nuit osseuse. Poudre d’escampette. Mais non, mais non, non, non, non, non.

 

Non.

 

Tu as le droit de mal faire, qu’il disait. Mais ne t’arrête jamais.



 

 

 

Le voile. Maya. Sortir de cette putain de tente. Quelque chose frémit, sous ta peau de bête, tes poings se serrent, malgré toi. Quelles sont les côtes de chêne qui, sous ces montagnes en fusion, auront pu garder la mortaise ? Comme une eau agitée, dans ta coque de chair, dans la cale sombre de ta poitrine. Un feu. Les flot irrités semblent lapider les nuages. Naufrage à venir. Signe. Tout est signe. Capitaine Achab. Moi aussi je fais de la poésie.

 

Une ampoule de verre

on a fait le vide tu

sais - à l’intérieur

Quatre bobines iront

assurer la déviation

horizontale, et tout

à fait verticale des

faisceaux tu la vois

l’image de ta colère

sur l’écran regarde!

 

Capitaine. Chêne, qui. Comme un feu qui te dévore : mon ardeur a embrasé ta colère. Si l’homme frappe, qu’il frappe à travers ce masque ! Haut les coeurs : jamais plus rudes rafales n’ont ébranlé nos créneaux. Achab, mon frère. Garder la mortaise. Moritare, morari. Retenir. Murtazza : fixé. Embrasé. Feu de paille. Homme de paille. Homme ! Toutes choses visibles ne sont que des masques de carton-pâte. Frapper à travers. Déchirer le voile. A quoi bon ? Garder trace. La nature humaine. Étrange pour qu'elle ne puisse s’empêcher de capter, sauvegarder. Fixer, retenir. reproduire, garder trace… Traces de pas sur le sable. S’effacent. Palimpseste de la marée. A quoi bon. Comment, aussi ? Comment le prisonnier pourrait-il s’évader sans percer la muraille ?

 

Et parfois cela prend

ô la forme d'un poème

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dire. Quelque chose. Abandonner. Failli. Trop dur. Vide, vidé. Abruti. Anéanti. A quoi bon, toujours. Écrire. T’as cru ? Les petites voix. Ah, vraiment ? Trop dur. T’as failli. Pas le droit. Le droit. D’être faible, mais pas de faiblir. Ça forme un tout. Une pelote, un tout. Et tu dois lui donner une forme. Un visage. Comme à lui. Un vrai visage, une place. Réelle. Réalité. Pas assez intelligent pour. Pas assez. La bêtise de l’autre. Et c’est nous, nous, nous, le même, l’autre. Le lourd. T’es con, ou ? Toujours, jamais. Sexiste. Existe. Prononce à voix haute le mot : chatte. Cherche encore. Comme à lui. Oui, un vrai visage, une place. Réelle ? A travers la toile. Tuile. Trop toilé : agité par des vents contraires. Toile : tu peux y peindre ton diagramme. Sur l’écran noir de mes nuits blanches.

 

Mais : le monstre, montre-le, montre-le, le monstrueux, montre, montre, moi, moi ! Existe. N’existe pas. Moi, moi ! N’existe. Montre-moi.

 

 

 

Je. Est un autre, est. L’autre, oui, je. Suis. Suis-je. Suie : barbouille le visage. Comme quand, enfant. L’enfer, oui, c’est. Horreur, horreur ! Les autres. Ton image inversée dans la rétine de l’autre. Je suis. Celui qui est. Christ rédempteur. Secret de polichinelle, gardé. Sang mêlé, bâtard. Élémentaire, mon cher watson. Les quatre éléments. Les quatre éléments du double visage de l’autre. L’autre, oui, je. Un. Un autre. Un. L’Un. Des milliers de petits rectangles rouges, verts et bleus. Les trois visages primaires permettent de former tous les autres. Une seule ousia en trois hypostases. Basile balise. Ergo sum. Barbouillé de suie : la petite brume qui enveloppe les êtres. Le petit brouillard. Ergo est. La base, le fondement de l’existence de l’autre. I don’t want to deal with human beings who are like statues. Qu’il disait. Ne t’arrête jamais. Tu peux mal faire, mais. Les quatre éléments du double visage de l’autre. Son signal de chrominance. Chrominescence. La base, le fondement : tu dois le toucher pour être sûr. Le saisir, le frapper. Mais frappe juste. A travers le masque. Persona : l’homme à la recherche de son âme. Que peux-tu voir, quand elle est allumée ? Vision à distance : j'ai égaré la télécommande. Image inversée : remets-la à l’endroit. A travers le balayage entrelacé, j’ai vu. A vingt-cinq ou trente images par seconde. Effet de papillotement ; l’œil est comme déchiré. Sidéré. Ça arrive, mais trop vite. Sonné. Sonner. Sonnet.

 

 

A travers l’ouverture

D’une tente - Je suis

le sommet d’un visage

aperçu fissa. Pas les

 

yeux, ni la bouche Je

regarde le poste quoi

Ne fonctionne pas non

Crache ses images, en

 

l’étourdissement, oui

de l’après-midi crève

le silence tape nerfs

 

brûle, brûle sais pas

quoi faire, et ce qui

m’arrive, abruti suis

 

C’était avant, ça. Avant la nuit obscure, un après-midi. Moi, allongé sur le sol, les yeux fermés, cherchant le repos et même le sommeil dans la brise légère. Sous ma casquette de toile. Qui me masquait. Lui, à deux pas, sous son abri de fortune. D’une toile l’autre. On était averti, pourtant. Pas dupe de l’existence de l’autre. Mais rien, pas grand-chose, un petit signe de la tête, un maigre bonjour. On aurait pu faire mieux. Mieux faire. Plus large. On aurait pu.

 

mon cerveau sur la la

toile brute faire oui

exploser tout ça quoi

A coups de rien aargh

rien à faire capte oh

non rien ça ne crache

que quelques secondes

de petits tu sais oui

rectangles bleus puis

verts rouges, puis de

la neige crachote oui

comme un couteau quoi

ébréché débile, ouais

 

Les plus grands chantiers du monde. C’est le seul truc que t’arrivais à capter, par moments. Qu’on arrivait. Je crois. Allongé sur le sol. Le haut de son visage, ses cheveux noirs. Le plus gros chantier. Là, maintenant. Moi, allongé sur le sol, la casquette rabattue. Poussière. Une chaleur infernale, il faisait. Si loin, si proche. On était averti, pourtant. Je me demande ce qui serait arrivé si. Le plus gros chantier du monde. Peut-être se rencontrer. Se montrer à l’autre. Tout le tintouin. Peut-être : écrire un poème. Ecoute, écoute bien. J’ai entendu un type dire à la télé que le cerveau fabrique la conscience. Ecoute-moi. La consience est fabriquée par le cerveau. La bonne blague. Encore. Pas d’humeur à ça, aujourd’hui - cet aujourd’hui qui ne dure que le temps de l’écrire. Ecrire. L’écrire, ça. Déposition : je dépose. L’espace du texte. Je dépose ce vers quoi je pèse. Ce qui a été lourd, pour que. Quoi ? Qu’il ne le soit plus. Plus. Peut-être. A quoi bon, toujours.

 

Si Bob n’arrive pas

à maintenir son son

son engin au sol ah

alors, il ne pourra

plus le dompter non

le contrôler et hum

la situation risque

de devenir vraiment

ingérable si Bob ne

hum, n’y arrive pas

 

Avoir la main heureuse. Un poème. Avec quoi, tu sais. Le plus gros chantier du monde. Tu cales ton crayon entre les doigts. Frappes sur les touches de ton clavier. Comme pour faire de la musique. Quelque chose de consolant comme une musique. Pour maintenir mon poème à flots, j’ai besoin d’une grue. Gros souvenirs à déplacer. Lourds. Où sont mes outils, mes machines ? Un écrivain doit prendre soin de ses mains. Soin. Des records de température vont être battus. Mon cerveau fait ce qu’il peut. En même temps, je suis l’homme, tu sais, allongé sur le sol, qui écoute. Le haut du visage à travers. Sous une casquette de toile. Je me repose pour demain, pour mes exercices. Poésie. Argument coup de poing. Ça m’a frappé. Frappé. Dingue. Massue. Roche de Canon. A quoi ça te fait penser, soudain. Au temps de. Penser. Tu te souviens. Ce poème.

 

Muni de mon alpenstock

Je façonne et j’estourbis

Le corps plat des ventriloques

Qui de ma fiole se rient

 

O ma barre mon aiguillon

Ô ma palanche mon piolet

Sans remord administrons

Tourlousines et giroflées

 

Hors du bourdon rien à faire

Sous sa houlette je latte

Et je bassine et j’atterre

Tous les intrus je les mate

 

Le nom que tu t’étais donné : Jean-Thyrse de la Hampe. Plusieurs à l’intérieur. Comme on dit. Toi aussi. Tu t’emportes. On s’emporte soi-même. C’est le problème. Soi-même. Dans les bagages. Ça m’a frappé. Argument massue. Contester. Contestant. Pouvez-vous me prouver que cette table existe ? Qu’il avait demandé. Adversité. Peux-tu me prouver que tu existes, je veux dire, vraiment ? Jamais le visage que nous attendions. Débattre, battre. Attaquant, à tour de rôle. Cherche l’ouverture. Étends-le. Allongé sur le sol. Brise sur la peau, caresse. Pour le moment, c’est assez léger, l’existence de l’autre. La télé ne fonctionne pas. Pas bien. Impossible de capter très longtemps. Combien de temps va-t-il rester là, à triturer son antenne. Fritures. Ça s’insinue, comme une huile trop grasse. Fritures. Œil de la mémoire, motif intérieur, eau et paillettes. Lorsqu'on le retourne, il se met à neiger. Rosebud. Miroir agité, écran bleu du souvenir. Je te regarde, tu me regardes. Bullshit. Complètement teubé. Propagation du son dans l’air ambiant. Recherche du bon canal. Comment peut-on ? Abruti. Chaleur de plomb. Ça déconne. Du plomb dans l’aile. On ne capte pas. Rien. Pas même un regard, un visage, rien. On ne se capte pas. Voisins. Ça merdouille. Tourne pas rond dans nos têtes. Le poste de télévision crache des éclats de rien, par intermittence. Du plomb dans la tête.

 

Mon calibre est chargé

 

 

 

Fondu au noir.

 

Je les entendais.

 

Ils étaient quatre. Him, Ya'aqov, la jeune femme à la voix cassée et la muette.

 

Ils aimaient beaucoup la jeune femme brune, aux yeux noirs, parce qu’elle parlait comme un homme.

 

Toi on t’aime bien, qu’ils disaient.

 

Sous la grande toile. Dans nos vies, sur nos terrains respectifs, séparés. Fine couche. Je les entendais.

 

 

 

Le plus gros chantier du monde. En fait, n’existe pas. N’existe. Que dans ton imagination. Délire. A moitié assoupi. Allongé sur le sol. Tu ne voyais que le haut de son visage, par intermittence. En réalité : Engins de chantier XXL. C’est le vrai titre de l'émission. Tu as vérifié. Higgs Higgs Aile. Higgs. Peter, tu sais. Enrhumé. Je vais t’enrhumer. Ainsi, la Vérité. Par bribes. Intermittences. Champ scalaire, étoffe du réel. Le vrai titre, tu sais. Poste de télévision. Ça ne marche pas. Émission intermittente de bêtise. Binaire. Une succession de zéro et de un. Notre bêtise. Faire avec, pas contre. Œuvre commune. Éteins-le. Au sens propre.

 

 

 

 

 

Tu n’avais rien demandé.

 

En fait, si. C’est vous qui avez demandé à changer d’emplacement. Oui, en vérité. Le dix-huit, pas le vingt-six. L’herbe paraissait plus verte. Le dix-huit.

 

Et, tout au bout, contre la grille, le seize.

 

Une grille pour nous enfermer tous.

 

 

 

 

Appelle-moi Him. Le prochain qui vient, je te jure, je lui pète la bouche. Tu m’entends ? Je la lui pète. Il a cru quoi. Qu’il pouvait débarquer ici, peinard, et tout niquer, comme ça ? Avec ses poèmes. Faut pas se répandre comme ça, non. Je suis chez moi, ici. D’où il vient lui, d’où, dis-moi. Moi, je suis d’ici. C’est mon pays. Ma terre, même poussiéreuse, desséchée. Mon Pays. T’as vu. Je suis bien, ici. Regarde. Ma toile, mes étoiles. Même la télé, t’as vu. C’est provisoire, hein, le temps que je rebondisse. Le temps que. T’as vu. Ouais. Sur la vie de ma mère, mon frère, je lui pète la bouche, le prochain. Je te jure. S’il a envie de se reposer, pour faire ses exercices, c’est pas mon problème. Qu’il aille voir ailleurs. Si j’y suis. Il n’avait pas qu’à venir ici, chez moi. D’où, il débarque, comme ça. On lui a rien demandé. Moi je suis chez moi, ici. Si je veux parler jusqu’au lever du jour, sur la vie de ma mère, c’est mon droit, je m’en bats les couilles. Toute la nuit, si je veux. Qu’il m’envoie ses gars, il verra. Qu’il me les envoie. Tu sais, mon prof de Kick-boxing. Il me l’a dit. La Poésie, ça vaut rien. Rien, zéro, rien. Du vent. Pas efficace dans la rue. De la merde. Il peut m’envoyer qui il veut, ses poètes je les défonce. Le kick-boxing, c’est largement plus fort. Qu’il m’envoie ses gars, qu’il les envoie, putain, je m’en bats les couilles. Même pas peur. Il peut m’envoyer qui il veut. Je les fracasse, et sa Poésie avec. J’encule la poésie, tu m’entends. Je l’encule, ouais. Vaurien. Je ne sais pas pour qui. Poète de mes deux. Il se prend, me prend. La tête. Faut pas me la faire à l’envers, non, vaut mieux pas, je te jure. La prochaine fois. Tiens, bim, bam, boum, coup de pied circulaire, coup de coude, la totale. Le kick-boxing, c’est plus fort. La vérité, la vérité, je te dis, c’est plus fort. Plus fort. La poésie, de la merde, marche pas, la vérité, la vérité. Je suis chez moi ici, fallait pas venir, fallait pas. Non. Fallait pas me dire chut. J’ai entendu, dans la nuit. Fallait pas. Chut, merde. Pas un putain de gosse. Faut pas me manquer de respect. C’est tout. Me dis pas chut. Sur la vie de ma mère, je l’emmerde avec ses poèmes. Moi aussi je fais de la poésie. De la merde. C’est provisoire, ici. Le temps que, tu sais. Qu’il se passe quelque chose. Que je renaisse. Tu sais pas qui je suis.

 

 

 

 

 

Tu peux être faible. Tu as le droit. Faible. Tu peux l’accepter. Tu peux. C’est fort, ça. Tu as le droit. D’être vaincu. Vaincu. Tu peux perdre, tu sais. Moi, je ne sais pas encore, non, j’ai trop peur. Trop faible suis pour. Perdre, savoir. Savoir perdre, être vaincu, tu peux, tu sais. Faible, vaincu, perdre. Ne pas oser. Se taire. Un filet de voix dans la bouche. Les mots ne sortent pas, goulet d’étranglement de l’émotion. Peur que le ruisseau se tarisse tout à fait. Assèchement du désir, du cœur. Vaincu. Même plus envie de l’ouvrir. Rien à dire. Tu as le droit, tu peux, même tout bas, même si on n’entend rien. C’est parfait, parfait. Faible, vaincu, perdre. Même si on te dit le contraire, si on te l’a appris. Ne pleure pas, sois fort. Un homme. Même pas mal. Rien. C’est. Allez, relève-toi. Arrête de gémir. Sois fort, sois fort, fort, ravale ta douleur, cogne-la, réduis-la en poussière, épuise-la. Mais pas ta fierté. Non. J’ai bien retenu la leçon. Trop. It still hurts. T’as plus qu’à aller aux émotifs anonymes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Laissez votre énergie être utilisée pour construire, et non pour détruire. Drôle, hein ? Sur ton sachet de thé. Yogi thé. Pas le Jardin Céleste, ton préféré. Construire. Engin de génie civil. Le camion le plus gros du monde, un monstre hors-norme. Hybris. Ou brise. Brise-le. Le plus gros. C’est mon papa qui conduit. Le plus fort.

 

la grue pour soulever

et maintenir en suspension

des phrases extrêmement

lourdes ; la bétonnière pour les transitions, les métaphores

le bulldozer pour araser une figure non plate ; la pelle mécanique hydraulique pour creuser les idées et charger

de nouvelles images ; la décapeuse, aussi appelée style ou motor-style ;

la niveleuse, aussi appelée charlatanerie de l’art ; le camion de chantier ou tombereau utilisé pour transporter dans le poème toutes les fournitures nécessaires au chantier, tels mots ordinaires, rares ou précieux, langue morte et/ou vivante, codes secrets, dialectes divers, jargons obscures,

lapsus révélateurs, et caetera.



Et au Japon, les robots.

 

 

 

 

 

Je dis Homme et instantanément se lève l’absent de tous les poèmes. Pareil avec ton nom. Ton nom propre. Je peux te le laisser : il est à toi. Mais pas celui de l’autre, Ya'aqov. Celui-là, je le garde, même si j’ai tort. C’est le nom que je donne, ici, provisoirement, au serviteur des mots vides, que tu as choisi, cette nuit-là, comme partenaire. Je n’arrive pas à l’aimer, pas encore, pas lui.

 

On pourrait connaître

dans chaque âme oh la

beauté de tu sais, de

l'univers si l'on oui

pouvait quoi, déplier

tous ses replis - oui

 

Cerveau lent. Je n’arrive pas à l’aimer, pas encore, pas lui. Mais si. Je pouvais. Au moins, connaître. Tous les. Savoir. Le fin mot. Tu peux l’écrire. Mais fais-le bien. Tu sais, la poésie : essentiellement bête. Mince, bête. Elle croit. Encore l’aphasique. Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi bien tranquille. A réciter pieusement. Quand tu boites. Comme en Espagne. Buon camino. Pense avec tes mains : écris.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ô seigneur, apportez à mon île un visage.

 

J’ai attaché aux cornes de mon poème, dont la patte est entravée pour qu'il boite, la lanterne trompeuse qui simulait une autre vérité.

 

 

 

 

 

 

Je suis le sombre, le glaçant Ya'aqov, J’aime les mots. Ce sont les mailles d’un puissant filet dans lequel je peux prendre ton esprit. Les verbeux, par exemple, sont de petits pièges d'une dizaine de mots en forme de prière. À l’intérieur de ce filet se trouve une pièce en forme d'entonnoir par laquelle les émotions et les idées arrivent à entrer mais qui les empêche de ressortir. Tu m’as nommé le serviteur des mots vides. Je t’ai donné mon visage qui est un masque, une surface peinte. Un collier de barbe grise et un sourire comme dessiné au couteau. Je suis le sombre, le glaçant Ya'aqov, serviteur des mots vides.

 

Ne reviens pas toutes les cinq minutes interrompre mes incantations nocturnes. Je pourrai te découper avec. Ecoute-moi, écoute bien. Ne me coupe jamais : ce que tu as à dire ne m’intéresse pas. Ils me prennent pour le vieux, le Phuro, le tuteur moral de la famille. Ils m’écoutent religieusement, comme si je disais vrai. Je les vois s’agiter comme des poissons aux yeux vitreux dans la nasse de mes discours. Je suis le sombre, le glaçant Ya'aqov, serviteur des mots vides.

 

Toi, him, je dis que tu es un prince, je te caresse de mes louanges et te prends à mes flatteries. Mais secrètement je sème en toi le poison du mensonge, du doute. La honte cuisante du métissage. Tu es un sang mêlé, un bâtard. Tu as beau protester, tu sais que c’est la vérité, et je m’emploie dès que possible à te le rappeler, te le répéter. Ta naissance est une tâche dont tu ne pourras jamais te remettre. La poussière du désert vient souiller ton sang. Tu es un prince, mais pas un homme, pas un membre à part entière de notre famille. Tu n’appartiendras jamais vraiment au peuple du ciel. Je vais chanter ta gloire auprès des femmes, mais au fond je ne te respecte pas. Je suis le sombre, le glaçant Ya'aqov, serviteur des mots vides.

 

Moi aussi je fais de la poésie. Ce sont les mots par lesquels je t’ai accueilli, quand tu as surgi dans la nuit pour dérober nos visages. Ne t’avise pas d’essayer de me répondre. Tu ne peux pas discuter avec moi. Je peux te tendre un miroir amer, à l’infini. Je t’échapperai toujours, même quand tu m’auras donné un visage. Tu ne vaux pas mieux que moi. Je suis le sombre, le glaçant Ya'aqov, serviteur des mots vides.

 

Pour le moment, éloigne-toi de la tente. Ne t’avise pas de me couper à nouveau, sinon c’est moi qui te planterai. Ne reviens-pas. Je remplis la nuit de mes poèmes malfaisants, dans l’espoir de ma récompense. Je veux profaner le silence, poser mes mains sur le corps immaculé de la muette, sa créature, son trésor. Comment pourrait-il douter de son propre oncle, le sombre, le glaçant Ya'aqov, serviteur des mots vides.

 

 

C’est que de la langue.

Jamais je n’ai levé la main sur elle.

Moi, c’est les insultes.

 

 

 

 

 

Je vais te lire mon poème. Te le fourrer dans la gueule. Ma poetry was lousy you said. Est. Ai. Sum. Suis. T’assommer avec. Assommant. Merde. Je croyais avoir un pouvoir spécial. Je peux faire vivre avec. Faire vivre ? Vivre. Esse. Essaie. Poein. Faire. T’assommer, faire des dégâts, vivre, allumer, éteindre, éteindre, allumer. Comme quand j’étais gosse, tic tac, allumer, éteindre, apparaître, disparaître, le monde, le monde, coucou, là, pas là. Ferme ta gueule. Putain, ferme-la. Ouvrir, ouvrir. Ça fait du bien. Chercher l’ouverture maximale. Chercher l’ouverture maximale de sa gueule. Ouvre ta gueule, pour voir ? Ouverture maximale de ma gueule, maximale, maximum. La prochaine fois, je la lui pète. Silence. Explosion. Expansion. Concentration, vaporisation. Merde, Baudelaire, encore. Mon coeur mis à nu. Crénom. Je ne sais plus parler. Il ne lui manque que la parole. On jurerait que. L’aphasique. Violence et Poésie. Fusées. Et le cheval de Nietzsche. La vie sans musique serait une erreur. S’élancer, danser, émotion. Bordel. Se mouvoir, émouvoir.

 

Un homme à l’opéra

tu sais - Dans une

baignoire. Pendant

le spectacle enfin

tu vois, un cheval

lui tombe dessus ô

ça venait oui d’en

haut, du balcon au

dessus. Mais alors

enfin que se passe

-t-il? Ça continue

je veux dire - oui

le spectacle et là

encore un cheval ô

et pas qu’une fois

non deux trois, et

plus encore! Et Il

ne dit jamais rien

Pas un mot : prend

son mal vous savez

en patience. Alors

L’homme, le pauvre

oui, excédé, finit

quoi par se mettre

en colère: « C’est

pas un peu fini de

balancer enfin zut

des chevaux, comme

ça?!» c’est la fin

 

Toi aussi tu sais t’indigner. Au sens belge du terme. Du verbe savoir. Pas une blague - je n’ai pas le cœur à ça aujourd’hui. Toi aussi, tu. Emporte-moi, emporte-toi ! Emporte. Le. N’importe. Fais-moi sortir de la tente. Cette putain de. Sortir, fuser, se tirer : hors de la cage, ouvrir, ouverture maximum de sa gueule, de ma gueule. N’importe. Nawak : sur le sentier de la guerre, en quête d’un nouveau scalp. Ire, haut, quoi. Un indien dans la ville. Je ne suis pas venu ici pour. Mais pour. Par qui le scandale arrive, celui. Ma colère comme carburant, startigène. S’épandre, se répandre.

 

 

 

 

 

Le prochain qui vient. Le prochain

Je te jure. Avec des mots plein la

bouche. C’est moi me voilà ça fera

une jolie explosion quand tu quand

je tu sais - Le prochain qui vient

boum je le nique: te voilà prévenu

 

Et aussi, tu sais, tu ne peux pas perdre. Tu n’as même pas besoin de le vouloir. Il suffit de désirer faire gagner l’autre, qu’il a dit. Moi, je n’y arrive pas encore mais ça va, je sais que j’ai le droit. C’est parfait, tu sais : il suffit juste de ne pas s’arrêter. Continue à bouger. Tu ne peux pas perdre, tu peux juste faire vivre, faire gagner. Le reste n’existe pas vraiment.

 

 

Il s’agit tu sais, de l’ouvrir oui

Il s’agit, s’agite, sagement - non

Hit Him, tell it, si loin – proche

silence chut il s’agit s’agit quoi

De le De le dire Dis-le dis-le dis

 

Le reste n’existe pas vraiment.

 

 

 

 

 

 

Tu vas l’ouvrir. Du coup, on voit toutes tes dents. Plasticité synaptique. De fil en aiguille : un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’humanité. Marcher sur la lune. Je te jure. Tu sais, la bille rousse qu’on voit luire dans le ciel les nuits d’éclipse. Rotondité. Ce n’est pas une sphère parfaite. J’ai parfois le sentiment que la lune existe vraiment : je le sens. Une intelligence que l’intelligence ne peut pas connaître. Dans la sensation. La lune existe. Ça fait quelque chose. Poser le pied, fouler : nouveau territoire. Plante un drapeau, pour voir. C’est à toi. Territoire, comme les animaux sauvages. Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir. Là-haut. Tu vois quelque chose, mec ? Ce qui arrive. Ce qui est arrivé. Où est Him ? Je ne vois plus sa tente à cause des nuages. Pourtant, même après, on la voyait encore. Même après. On la voyait à travers les arbres, derrière le grillage. Je te jure. Même après. Aurait pas dû. On sentait quelque chose se tendre. Tourner, accaparant la raison, ce petit train à ressort / qui s’appelle le cœur. On sentait. Comme il dit. Pessoa. Peste soit.

 

A travers le grillage

Sa petite toile grise

brillait sous le ciel

vide avec opiniâtreté

 

 

Ne vois. Plus. A peine. Au cause des nuages. Mais elle brille toujours. Dessous, dedans. Comme un soleil piétiné.

 

Inversé. Comme une lune absente.

 

T’as qu’à. De cette putain de tente. Tu verras. Ce que tu verras. Tire-toi, sors. Tu verras bien.

 

Moins il y a aura

de lumière - plus

la pupille, enfin

l’orifice central

qui perce l’iris,

sera dilatée – sa

petite toile ivre

- Le long du nerf

optique tu verras

La rétine. Bigre!

 

Comme une lune absente.

 

 

 

Passée la ligne d’humiliation, la violence.

 

Remonte.

 

A la surface.

 

 

 

 

On a beau faire, ce qui nous arrive pèse toujours un petit peu, même rien. On tend vers. On penche. Ça te suit, même. Regarde, t’as beau être rentré chez toi, ça rentre par le jardin, par la fenêtre, par les oreilles. Au moment même où tu écris. Ça escalade les murs, les toits. Cerné. Tes voisins, encore. Aussi. Quelque chose qui cloche. Que de la langue mais. La violence s’invite à table. Tu peux appeler ton père, je m’en bats les couilles. Je le prends quand tu veux, en un contre un, je lui mets la tête dans le sable. Comme une eau sombre, qui s’infiltre à travers la coque. Toujours la même chose. La violence s’invite. Ouvre-moi, salope, sinon je défonce la porte. Quelque chose cloche. Pas de visage. Une sorte de naufrage. Tu sais, au fond. Du cœur, de l’écriture. Ecris-le. A quoi bon ? T’as qu’à ouvrir la bible. Pas envie. Je te jure, je te jure, la prochaine fois... T’as beau être chez toi, et pas là-bas, sous le soleil luisant d’étrangeté, t’as beau, t’as beau : l’ensauvagement veille encore, frappe à la porte dedans, dehors.

 

Que de la langue, mais. Pas taillé pour. T’as qu’à dire que tu fais de la méditation. En mouvement. Je ne sais pas quoi dire. Pas quoi. Dire. Je ne. Pas. Je. Crénom. Caracole.

 

Ouvre-toi, sinon. Tu sais.

 

 

 

 

 

 

Quelqu’un lutta avec lui jusqu’au lever de l’aurore. En fait c’était un ange. Jusqu’au lever, Jacob. A ce propos. Ton propos. Ce que tu te proposes de dire. Propose. Les différentes mémoires sont interconnectées mais dépendent de régions distinctes. Tu te souviens. Un soir, t’étais allé sortir le chien. Une plume est tombée du ciel. Comme ça, comme une idée un peu fumeuse, sortie de nulle part, des ténèbres. Volute. Fumée. La nuit épaisse, barbouillée de suie. Dansant, virevoltant. Beau. A la lueur des réverbères, une plume. Tu l’as vue. Acheminée vers les aires corticales à l'arrière du cerveau. Pile l’époque où. Un bouquin sur les anges gardien, tu lisais. Sortir le chien. Tu y crois, toi. S’est posé sur le sol avec douceur.

 

Tes souvenirs ont besoin – je pense - de deux ans pour être totalement consolidées au niveau de l’hippocampe. Ils doivent au préalable terminer le “circuit de Papez” qui consiste ( je l’ai vu en rêve ) à les faire passer des corps mamillaires au thalamus (afin de les dater, tu comprends, pour éviter toute perte de mémoire), puis par le gyrus cingulaire (où elles seront cataloguées et rapprochées des connaissances de même nature déjà acquises), avant de retourner (le plus discrètement possible) dans l’hippocampe pour y être stockées normalement jusqu’à la mort (n’en parlons pas).

 

Jusqu’à la mort. Que mort s’en suive. Ha bon. Quelqu’un lutta. T’as qu’à ouvrir la Bible. Au lever du soleil, il avait passé Penuel et il boitait de la hanche. Toi aussi, sur une route d’Espagne. Tu boitais de la hanche. Dans tes jours d’errance. Trop vite, trop lourd à porter. Pèlerin d’occasion, tu voulais sentir et penser avec tes pieds. Pour voir.

 

Alors il a couru

Sans jamais, oui

se retourner non

vers le feu il a

juste couru il a

couru jusqu’à ce

que le soleil se

lève et qu’il ne

puisse plus, non

courir plus, oui

plus longtemps ô

et quand il – le

soleil s’est oui

couché à nouveau

alors il a couru

encore et encore

 

S’éloigner de ce qui pèse. N’en fais pas trop. Fais-le bien. Frapper juste. Quelqu'un lutta avec lui jusqu'au lever de l'aurore. Jusqu’au lever.

 

Mais n’oublie pas de te poser sur le sol avec douceur.

 

Et lui, aussi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J’écris parce que j’ai besoin de me taire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La défaite est comme une plume posée avec douceur sur la paume ouverte de ta main. Tu peux y goûter. Il y a une force à l’intérieur, si tu sais l’accueillir, je veux dire, vraiment.

 

Tu peux y goûter, comme à un fruit.

 

 

 

 

 

 

Il dit : "Lâche-moi, car

l’aurore est levée" mais

 

Jacob répondit:"Je ne te

lâcherai pas - que tu ne

 

m’aies béni." L’ange lui

demanda, de dire son nom

 

Dans la Bible. Au gué du Yabboq. Ou Ya'aqov ? Lâche-moi, car l’aurore est levée.

 

Je ne te lâcherai pas, que tu ne m’aies donné un visage. Car l’aurore est levée.

 

 

 

 

Déliquescence. Un mot tu peux le tailler, le polir. Lui donner une forme définie, révéler son éclat, sa couleur, sa brillance. A la fin, le cristal brut sera transformé en gemme d’une beauté "convaincante" : délicatesse.

 

Un mot

 

pourquoi

 

 

pour

 

en

 

faire

 

 

moins

 

Un style

 

Tu

 

 

sais

 

lapidaire

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il ne me manque que la parole.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Avant le poème, le déluge. Un jour, par je ne sais quel miracle, les flots ont une voix. Une vraie, une large, une profonde. Vise l’ouverture maximum, le geste le plus large. Il faut donner un visage à ton poème, aussi. Même agité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nos blessures. Guérir. Ce qui nous arrive. Arrive à notre corps. A notre. Tu as un cerveau aussi, un esprit, une âme. Ergo sum. L’année la plus chaude de tous les temps. La plus riche en blessures. La Vie. Ce qui nous blesse. De l’inconvénient d’être né. Et en même temps, c’est ce qui me rendait joyeux. (Rires) Sa noirceur absolue me faisait du bien. Banane, pêche. Donner. Panser nos plaies. Elle le fait si bien, avec une telle générosité. Je me sens nu, à coté. Nul : sois plus généreux. Nos blessures. Par exemple, quelque chose au pied, tous les quatre. On se demandait quand. Ça allait arriver.

 

Vivre nous blesse. Piqûres, coupures, fractures, ecchymoses, hématomes. Tu boites, tu saignes, la vie blesse. Tu peux tomber, glisser, heurter le sol, une pierre, un objet.

 

On appelle ça des accidents.

 

C’est pas le pied. C’est la vie. C’est comme ça. Bien, bien.

 

Ce qui t’arrive t’arrive.

 

Tu peux guérir. Souffler sur les blessures de l’autre, les panser. Dire les mots qui soignent.

 

Va.

 

 

 

 

 

 

Sitôt qu’il cesse de pâtir, il cesse d’être.

 

Écoute-moi.

 

Ce ne sont pas les blessures qui te définissent Mais ta capacité à guérir.

 

C’est tout.

 

 

 

Ce qui nous arrive. Parfois. Nous, si. Sidère. Scie d’air. Le plus gros chantier du monde. Higgs Higgs Aile. Le champ de Higgs, boson. Au cœur de la matière, sidéré. Pas assez intelligent. Sidère. L’angle par lequel nous. Arrive bien de quelque part, quelque part. Réalité ultime. L’apparence, la nature, l’entité, le pouvoir, l’influence, la cause inhérente, la relation, l’effet latent, l’effet manifeste, et leur cohérence du début jusqu’à la fin. Des systèmes peuvent être intriqués de sorte qu'une interaction en un endroit du système a une répercussion immédiate en d'autres endroits. Intrication des corps, des souvenirs. Pouvoir séparateur de l’œil, cercle de confusion. Persistance rétinienne. Le mécanisme de la vision comprend la réception de la lumière par l’œil, suivie de la transmission de l’information au cerveau. Je ne voyais que le haut de son visage. Tourné vers son poste, semblait. De télévision. Comme un totem. Rivé à. Ses yeux sous la ligne de flottaison des miens. L'image qui se forme sur la rétine de notre œil. Multitude de points lumineux. Milliers de petits rectangles rouges, verts et bleus. Luminophores. De très près. Pas sa bouche, ni ses yeux. Même quand je suis venu, pour dire les mots, je n’ai pas bien vu son visage. Il est resté dans l’ombre, comme si, bizarrement, une indétermination fondamentale empêchait la mesure exacte simultanée de nos deux existences conjuguées.

 

 

Je n’ai jamais dit chut. Pas moi. Mais j’ai entendu, oui. Eux, pas moi.

 

Alors pourquoi tu. C’est ça qui. Punaise, c’est ça.

 

Chut.

 

Chut.

 

Chut.

 

Chut.

 

Chut.

 

Chut.

 

Chut.

 

Chut.

 

Chut.

 

Chut.

 

Chut.

 

Chut.

 

Chut.

 

Non.

 

 

 

 

Merde, je n’ai aucune leçon à te donner. On dirait, pourtant, je sais. Je sais. On dirait. Je suis venu dans la nuit pour te demander d’exister moins fort. Passage à l’acte. Bon, cette fois, j’y vais. Existe un peu moins fort, parce que tu comprends. Là, c’est trop. Too much. Moi, j’avais pas spécialement décidé. Dormir. Exister dans les rêves, ailleurs. Mais là, trop fort, tu comprends, on peut pas. Peux pas. Je. Exister. Dans ma putain de toile. De tente.

 

Faut que vous dormiez c’est ça

parce que vous avez besoin, de

vous reposer, hein pour écrire

vos poèmes, vos...je comprends

désolé - Je vais exister moins

fort je comprends. Tant pis si

je perds le fil le rythme tant

pis je n’ai même pas de visage

 

Et l’argument des gosses. Putain, j’ai horreur de ça, moi aussi, tu sais. Tu sais. Horreur, merde, ça me fout les boules. Pas de leçon à te donner, à me donner. On dirait, je sais. Tous ces mots bien propres, bien ronds, je sais. Qui te regardent d’en haut, qui disent : Je sais. Je sais. Que dalle, oualou, merde. On dirait qu’ils jugent : nous, on sait. Qui tu es. Toi. Oui, putain, je sais. On dirait que. Bien propres et ronds. Qui tu dois être. Les gens comme il faut.. Le parti des honnêtes gens. Il faut que. Souvent les pires, je sais. Au fond. Bien propres et ronds. Un con sphérique : dont on ne peut faire le tour. Les mots sont. Des. Tombes ? Tombe. Je te tue. On peut mourir. Silence. On dirait. Je sais. Mais ne peut-on. Rêver, les jours d’ambition. Qui sait. Faire sonner ça d’une manière différente, spéciale, frapper juste, comme ça, comme un petit miracle auquel on aurait décidé de croire. Les jours d’ambition.

 

Ne pas écrire beau. Salir. Tordre le cou. Traquer. Pas de bobard. Tu te rappelles, le père Abiven ? Le monde ne dit plus vrai. Ça te suit, hein ? Le problème, c’est. C’est ça. Qu’on ne veut plus. C’est ça. On n’en veut plus. Peut plus. Peux plus. C’est ça qu’il faut changer. Bien beau. I want to change the world, but I dont know how to. Comme dit la chanson. C’est ça, merde, c’est ça. Grave. C’est exactement ça, toujours, jamais. Exactement ça. Ça. Qu’il faut changer.

 

 

 

 

 

 

 

Abruti. La seule injure qui.

 

Ma bêtise croît à vue d’œil, comme un plant de tomates.

 

Con, connard, enculé. Non, tu vois bien. Bête. Pareil.

 

N’insulte personne. Énonce. Il faut s’en tenir aux faits. Abruti. Voilà.

 

La seule injure. C’est pour ça que. Tu disais. Vierge de tout reproche. Tu peux y aller. Inattaquable. Consistant. Même Gödel n’y voit rien. Je veux dire, à redire. Abruti : c’est magnifique.

 

Propre et rond. Comme, tu sais. Un petit caillou brillant au fond de la rivière.

 

 

 

 

 

 

Appelle-moi Him. Si je voulais, je pourrais avoir le monde à mes pieds. A mes pieds, je te jure. Écoute mon oncle. Il sait parler, lui. Il connaît les mots. Écoute-le. Un prince, je suis. Pas un vaurien. Je te jure, je te jure, la vérité, si je voulais je pourrai avoir le même palais que, tu sais, le fils du maharadjah. Que le maharadjah lui-même, même, si je voulais. La même garde-robe rutilante, le même or étincelant. Quand un maharadjah descend dans un hôtel, il prend tout un étage, pour y donner des fêtes sans être gêné. Ecoute-moi. Mon nom est Him : je te le donne. Him, l’homme sans visage. Puisque tu n’as pas voulu m’en donner un. C’est moi. Him. Him bramant dans la nuit. Him. Himself. Je peux. Je suis. Brame, bramant. Bravant, bravade. Je pourrais être qui je veux, si je voulais. Qui je veux. Je suis venu ici pour écrire mon histoire, la scander. La hurler, connard, jusqu’au bout de la nuit. C’est provisoire. Le temps de l’écrire. Comme toi, tu vois. Moi aussi je fais de la poésie. Mais viens pas me chercher avec la tienne. Ta prose avariée de suceur de boules. C’est de la merde. Tu peux m’envoyer qui tu veux. Je les défonce. Qui je veux. Mes mains pour boxer et mes yeux pour niquer. Je nique avec mes yeux, tu sais. Ecoute. Mon oncle, il sait. Un prince. Tu les vois, mes yeux clairs ouverts comme des cieux ardents sur ma peau brune. Je n’arrive pas à la retenir, la lumière. Elle me sort par les yeux, et je peux conquérir le monde avec, si je veux. Je nique avec mes yeux, en vérité, je te le dis. Je suis Him, père de la multitude. Toutes les femmes, je les soumets à moi, avec mes yeux. Toute la lumière, je la leur donne, toute ma lumière, toute. Je ne sais pas la retenir, me retenir. Et toute l’ombre aussi. Je suis quelqu’un. Ne me dis pas chut, jamais. Pas ça, pas à moi. Sinon, je te jure, le prochain, je le, je le. Tu sais.

 

 

 

 

 

Que de la langue. C’est. Que de la langue. Langue bien pendue. Que de la. La Superbe. Le Superbe. Tarquin. Taquin. C’est que de. Pourquoi tu. Que du mytho. Me dis pas que. Tu écoutes. Personne. Alors on peut y aller. Raconte. Fais le récit. Fais le. Que de la langue, c’est tout, rien. Que dalle. Personne n’écoute, pas vraiment. Alors. Fais. Poein. Va pas t’arrêter. Si tu, tu sais, si tu stationnes, tu freines, t’es mort, je te jure. Mis en panne, étouffé, mort. Ne t’arrête jamais. Sinon ça s’écroule. Je pense. Croissance exponentielle : le système tout entier est basé sur la dette. T’es monté à bord, tu peux plus t’arrêter. Pas de frein. Droit dans le mur. Pourquoi tu mens. Comme à Barcelone. C’était parti en vrille, une fois, en pleine rue. Fais quelque chose. Des gamins. Que de la langue. Ta mère. Un ou deux coups au passage, le temps de ressentir à quelle vitesse peut se déplacer un poing, arriver une main, avec l’intention de frapper vraiment, de faire mal. Intervenir. Passée la ligne d’humiliation, la violence remonte à la surface. Pourquoi tu mens. Tu te mens. Une fois que tu as commencé, tu ne peux plus t’arrêter. Tu te rappelles, ce personnage, dans un film, qui avait décidé de ne plus mentir ? Oui. Ne plus. Toi aussi, tu voulais, avais voulu. Héros. Le pouvoir de dire vrai. Arrête de mytho. Système basé sur la dette : croissance exponentielle du mensonge. Château de cartes, de plus en plus haut, de plus en gros. Arrête. Éteins-le.

 

 

 

 

Je peux dissoudre le monde, la vérité.

 

Tais-toi, Him. Je peux te réduire au silence. T’effacer, indéfiniment. C’est moi qui t’ai fait. C’est moi, moi, qui dirige, manœuvre, établis. Te fais. Création spontanée. Je peux te réduire au silence des mots. Et moi avec. Le bébé avec l’eau du bain. Le bain avec l’eau du bébé.

 

 

 

 

Des mots. Certains nous suivent. Se logent, se font une place. Dans les nôtres, dessous, dehors. Des mots. Ceux avec lesquels on baragouine et balbutie, ceux avec lesquels on murmure et caresse, ceux avec lesquels on soigne, ceux avec lesquels on ment, on injurie.

 

Ceux avec lesquels on aime, on vit.

 

Ce qui nous arrive, alors.

 

 

 

Appelle-moi la muette. Je les écoute. J’existe à peine. Je suis celle dont on parle, parfois, souvent, mais qui ne parle pas. Quelques mots, peut-être, à peine nés. Je les écoute. Son oncle, Ya'aqov, parle beaucoup. Tous, ils trouvent qu’il parle bien mais moi il me fait peur. Ses mots caressent l’oreille mais son regard me dévisage, son sourire aussi. Quelque chose en lui me glace le cœur. Je ne parle pas. Pas voix au chapitre. Je suis celle dont on parle, la muette. Him dit qu’il m’a faite. Je n’étais rien et il a fait de moi ce que je suis. Il m’a sorti de quelque chose. Je ne sais pas ce que je suis. Qui. Si, je suis la muette. Plus tard, oui, tu m’entendras, dans la nuit épaisse, fuligineuse, protester faiblement, hasarder quelques mots d’enfant, sans puissance.

 

Pour le moment, je les écoute parler. Je les regarde, aussi. Ses yeux à lui, si beaux. Je suis amoureuse. Une telle vie, en lui. Il m’a choisie. Ça me remplit de fierté. J’ai un peu peur, aussi. Je suis celle dont on parle, la muette.

 

Elle, ils l’aiment bien parce qu’elle parle. Toi, je t’aime bien, qu’il a dit. Tu parles comme un homme. J’aimerais bien faire comme elle, avoir une voix, exister pleinement. Faire briller mes yeux bruns avec la même insolence, le même éclat amer.

 

Je les ai écoutés, toute la nuit. Les yeux luisants, vaguement inquiets. A la fin, Him m’a demandé de reconduire son oncle Ya'aqov. Je ne voulais pas. Mais je l’ai fait pour lui. Je me suis enfermée dans l’habitacle avec celui qui me fait peur, pour lui, pour Him. Les mains crispées sur le volant, le regard vide. Dans cet espace si exigu, prise au piège, pour lui. Quand il me regarde, Him, je sens que j’existe. Ça me suffit. Il ne sait pas retenir la lumière. Mais son ombre plane sur moi, aussi. Tais-toi, mon amour.

 

Je l’ai ramené dans la nuit épaisse, gluante, comme il me l’avait demandé. L’ogre de la nuit. Je sentais son regard se poser sur moi, comme une lame froide sur mon cœur. Écoute-moi, qu’il disait. Écoute-moi. Que je meure sur le champ si je ne dis pas vrai, ta beauté est un don du ciel, un don du ciel, c’est la vérité, crois-moi, c’est la vérité vraie, je te le jure sur mes ancêtres, tu as tout ce qu’il faut pour plaire à un homme. Laisse-moi rendre hommage à ta beauté, laisse au vieil oncle le plaisir de te connaître. Je voulais partir, mais jamais il ne s’arrêtait, jamais, écoute-moi, qu’il disait, je n’ai pas fini, écoute-moi, écoute-moi, aie la décence de ne pas m’interrompre. Et il m’enroulait dans le filet de ses mots vides, me caressait la joue. Je voyais luire dans ses yeux une flamme mauvaise qui me terrifiait. Non, non, ne pars pas tout de suite, encore un instant, écoute-moi, tiens-toi tranquille, n’oublie pas qui je suis. Ne regarde pas mes cheveux gris. J’ai assez de vigueur, encore. Je peux te soulever, si je veux, ma soeur. J’ai cru qu’il. Vraiment. Qu’il allait. Ça me terrifiait. Mais je n’ai pas cédé. J’ai opposé mon frêle silence à sa puissance malfaisante, à ses mots d’homme. Mon frêle silence, comme un mur. Il a fini par se taire, lui aussi, me toisant du regard, d’un air de mépris. J’étais soulagé de plus exister à ses yeux. D’être moins que rien, soudain, à nouveau, enfin.

 

Où es-tu, Him ?

 

 

Si je, si je n’arrive pas, si je n’arrive pas, à maintenir, arrimer, fixer mon poème au sol. Je ne pourrai plus. Plus. Non. Le contrôler. Le. Mon poème. Si, je. Au sol. Centré, enraciné. Comme un arbre aux larges feuilles, dans la terre parfumée.

 

Si, je. Pas.

 

La situation risque de devenir ingérable.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’ épreuve ne tourne jamais. Hum. Vers nous. Le visage. Que nous attendions. Je sais. Vers nous. Je savais. Je crois, je croyais. J’ai compris. Reçu. N’en jetez plus. Je sais, je crois, maintenant : je dois lui donner un visage.

 

 

 

 

 

L’idée d’un naufrage

au coeur même oui de

l’écriture - tu sais

avant moi, le déluge

 

 

 

 

 

 

 

 

Le poème fabrique la conscience. Le poème fabrique la conscience du poème. Fabrique. Qu’est-ce que tu fabriques. Comme quand j’étais gosse. Le poème fabrique la conscience du poème qui se fabrique. La conscience du poème qui se fabrique une conscience. Un corps, un organisme, une chose pensante. D’être. Les cartésiens ont fort manqué. Les cartésiens, quoi. Ayant compté pour rien. Compté : calcul littéral. Littéraire. Pour rien ces. Pourquoi. Mille petites perceptions. Pour rien, que dalle, peau de zébi. Dont on ne s’aperçoit pas. Qu’est-ce qu’ils ont fabriqué ? Cogito. Pour rien. Foutu.

 

Ainsi ô en me promenant

sur le rivage de la mer

et - entendant le grand

bruit qu'elle fait – le

grand bruit – j'entends

 

quoi les bruits tu sais

particuliers, de chaque

vague, de chaque putain

de vagues dont le bruit

total est composé, mais

 

sans les discerner hein

C’est sa monadologie tu

sais pas de dissolution

à craindre non,  aucune

mais ô un miroir vivant

 

Et moi, qu’est-ce. Qu’est-ce. Avec mon poème. Qu’est-ce que j’ai foutu. Mon récit. Va te faire foutre. C’est l’obscène réalité. Le prix exorbitant. Je l’ai déjà écrit. Ergo sum. Ergoter, ergotons. Mes vers de mirliton. Ma poésie à deux balles, à deux vitesses. Foutu.

 

Mais tout ce qui est

très précieux – tout

ce qui est - tu sais

précieux hé bien est

aussi difficile, que

rare alors le fin le

fin mot de quoi : de

de l’histoire hé oui

C’est ça. Du Spinoza

dans le texte ha bon

 

Il a bien essayé, lui. Réussi. Je trouve. Je. Chercherai plus tard. On peut essayer. Il faut bien. Même si. A quoi bon. La réalité n’a pas besoin de moi. Moi, le poème. C’est étrange de vouloir garder ainsi trace. Étrange. Il a plongé ses mains d’enfants - trop petites - dans la terre, pour y semer du vent. Des rires, des rimes. Y enfouir ses petites boites en fer, ses misères, ses trésors. Du silence et des ombres. L’odeur de la terre. Comme quand j’étais gosse. Le terreau de nos joies, de nos douleurs. Se rouler dans la boue, dans l’argile des mots, du souvenir.

 

 

L’idée d’un langage univoque, qui dise vrai. Ça fait l’effet d’une bombe. T’as beau la retourner, tu ne peux en faire le tour. Sphère parfaite.

 

Dont le centre est partout, et la circonférence nulle part.

 

T’as beau, elle brille dans les ténèbres comme une plume de perroquet.

 

 

 

 

 

Comme une rafale de vent qui me pousse dans le dos.

 

 

 

 

 

 

Je n’ai rien. Rien. Rien de plus précieux que. Rien. Rien de plus précieux. Rien. Que ma vie. Ma pensée. Quelques mots. Auxquels j’appartiens, qui m’ont choisi. Trouvé. Des mots pour dire. Le dire. L’ouverture la plus large : creuser le ciel. Rien. Dans ma vie, il y a aussi la tienne ma fille, la tienne mon fils, la tienne mon cœur. Nos vies. Rien de plus précieux. Pas de protection. L’ouverture la plus large. N’ai pas peur. Tu peux aller vers, au contact. Ton cœur mis à nu n’est pas en danger. N’aie pas peur d’avoir peur. Il y a dans la confiance, dans l’amour, une intelligence que l’intelligence ne peut pas connaître. Tu sens ce que ça fait. Un peu mal, mais tu es vivant. Tu sens la douleur, tu es vivant. Elle ne te définit pas : tu es vivant. C’est ta joie qui te définit, ton amour. N’aie pas peur. Un jour, j’ai dit. Tu sais, à mon fils que. Tu n’avais rien de plus précieux que ces petits carnets sur lesquels tu consignes tes pensées. Je veux dire, après ma vie, avec toi dedans, vous, et tous les fils d’amours qui me relient aux autres, à la Joie. Je ne sais pas ce qui veut dire le mot béatitude. Je veux dire, vraiment.

 

Comme quand, enfant. Béatitude.

 

Jamais, toujours. Furtif et ondoyant. Immergé dans la vie, comme un poisson clown.

 

 

 

Rien de plus précieux. Rien. Pas de protection : l’ouverture la plus large. N’aie pas peur.

 

Un jour j’ai voulu

m’interposer entre

deux types, un des

deux était marin ô

sur un bateau, oui

un remorqueur hein

l’abeille machin y

voulaient [c’était

dans un bar – port

de commerce ouais]

se taper dessus et

un des gars ça lui

a pas plu il s’est

mis à me fixer, il

ne supportait plus

ma moustache et ma

gueule et comme je

ne baissais pas oh

non les yeux – lui

ça l’a mis en rage

 

L’ouverture la plus large. Tu penses qu’en ? Tu crois ? Plus fort. Tu sais faire. Le. Ne me demande pas de frapper plus fort, jamais. Donne lui un visage. Question d’attitude, d’altitude. Non, pas plus haut. Pas un mot. Que l’autre. Donne un visage. Donne. Frapper plus fort, c’est idiot : c’est frapper juste. Choisis bien tes mots.

 

 

il s’est planté oh

devant moi, à vrai

dire, nez à nez et

nos regards ô bien

plantés aussi l’un

dans l’autre comme

une lame et ça l’a

mis encore plus en

rage mais non, non

je ne sentais rien

juste ma colère tu

sais dense et très

froide tu sais une

sorte de boule, un

 

Peux pas l’encadrer. Le voir. Alors, tu verras ce que tu verras. Ma peur, comme une ombre. La densité spectrale de ma haine. Si tu veux pas. C’est ce que tu auras. Récolteras. Voir, les voir. Abruti, tu es. T’es. Tais. Toi. Tu ne veux pas. Le voir. Le monstre. L’autre, monstrueusement autre. Tu n’as pas de main à lui tendre. Fine bouche, alors que. Ouverture maximale. Montre-moi. Le prochain, je la lui. Je te jure. Je la lui, sa putain de fine bouche. Compris, capiche ?

 

soleil noir ô très

puissant, et là le

type, deux lourdes

baffes - qu’il m’a

collées et un bref

moment entre, pour

voir ce que, enfin

en espérant que je

mais non, moi j’ai

continué, avec mes

yeux, comme un fou

à le bastonner oui

à pleine puissance

d’un air de défi ô

pas plus malin que

l’autre oh non pas

plus, mais avec le

sentiment vaniteux

d’avoir gagné, oui

dérisoirement mais

au moins je sais ô

Oui ce que ça fait

D’en prendre, quoi

Deux sur la gueule

 

Parce que moi aussi. Je suis là pour ça. En découdre. Découdre. Je te jure. Des mots plein la bouche. Ça fera une jolie explosion, je te jure. Je la lui. Le fer quand il est chaud. Battre, se battre. Chaud. Il est chaud.

 

Toi aussi, les mots. Beaucoup plus que. Le glaçant, le sombre Ya'aqov.

 

 

 

 

Le récit des origines. Ton existence a un commencement, comme l’univers. Origines du monde. De la violence, du mal. Tout est récit. Que me chantes-tu, racontes, là. Récit. Ta version de l’histoire. Mythologie. Portative. Personnelle. On peut se servir à la rigueur d'une Bombarde de Récit, sans ouvrir complètement la boîte expressive. Récit des origines : je viens de quelque part - né d’une terre, d’un sourire, d’une histoire. Le récit qui creuse le ciel, ou le salit. Les mots qui détruisent, ou qui guérissent. Arrête de mytho. Tes salades. Je vais te raconter ma story.

 

Voilà. Un jour, je te jure, quatorze types armés jusqu’aux dents sont venus sonner à ma porte. C’est pour moi qu’ils venaient, pour ma pomme. J’avais merdé : trop ouvert ma gueule, tu sais, comme d’habitude, des mots sales, bien lourds et crasseux. Que de la langue, mais. Ça l’a rendu fou, le type. Que je parle comme ça de son âme. Il a envoyé ses gars. Ma peau qu’ils voulaient, ni plus ni moins. Que de la langue mais. Ça peut blesser, je sais. Entrer dans la tête, le cœur, comme une lame. Crois-tu ? Penses-tu que… ? Non. Écoute ce que j’ai fait, écoute bien, écoute. Voilà. Je suis sorti avec un poème et j’ai tiré. Un vers pour chaque type. Foudroyés en plein cœur, terrassés. Voilà qui je suis. Fais pas le malin. Pas du genre à me débiner. Avec mon poème à la main, à la bouche. Redoutable. Ouais. Ma poésie. Tu peux crever avec, mieux qu’avec un poing, qu’une balle. Voilà qui je suis, tu vois. Ce dont je suis capable. Un bonhomme, ouais. Ne me manque pas de respect. Tu parles. Pourquoi tu mens ? Oui. Non. Ta poésie ne sait rien, ne peut rien. La poésie ne vaut rien. Rien ne vaut la poésie. Merde. J’encule la Poésie, et tous les poètes du monde : ils ne peuvent rien pour moi, pour nous. Arrête de mytho. Un vers pour chaque type, je te dis. En plein cœur. Voilà qui je suis. Tu n’es personne. Tu n’as même pas de visage.

 

Tu peux vivre avec, mieux que sans.

 

Faire. Vivre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Toi, tu n’as pas été frappé. Pas une victime réelle. Pas été.

 

La musique creuse le ciel.

 

Baudelaire, merde.

 

Crénom.

 

 

 

 

 

Appelle-moi la muette. Après avoir échappé aux mains de l’ogre, à ses mots caressants et impudiques, j’ai volé vers mon amour, vers lui, vers Him. Il ne m’a pas bien accueilli. Si j’avais pu consulter l’homme silencieux qui écoutait, à côté, crispé comme un extravagant, il m’aurait dit bien des choses sur lui. Les rires qu’il échangeait avec la femme aux yeux noirs, à la voix enrouée et aux paroles d’homme. Le ton étonnement léger avec lequel il évoquait mon absence prolongée, dans la nuit, seul avec son oncle.

 

Il ne m’a pas bien accueilli. Ses mots ont fait trembler le pavillon de mes oreilles, ont creusé dans mon cœur, dans la nuit. Toute l’ombre qui était en lui, il me l’a jetée au visage. T’étais où ? Ça fait une heure que t’es partie. Une heure. Tu m’as encore refait le coup. Une heure. Le prochaine fois, je te jure, je te jure. Une heure. Tu me refais ça encore une fois, je te jure, je te. La prochaine fois. Ses yeux étincelaient de colère. Il me faisait peur.

 

« Mais c’est lui qui m’a retenu, j’ai dit. Ton oncle, Ya'aqov. Je ne pouvais pas l’arrêter, tu sais, je pouvais pas. C’est un homme, tu comprends. Je pouvais pas l’empêcher de parler, de dire, Écoute-moi, écoute-moi, encore un moment. Je suis revenue dès que j’ai pu. Je le jure sur tes yeux, sur mon amour. » Mais, Him, non, ça ne lui a pas suffi. Il n’avait pas fini de me jeter toute son ombre au visage. Tu n’avais pas à rester seul avec lui. Ce n’est pas digne. Il fallait revenir, tu m’entends, il fallait revenir immédiatement, immédiatement, sinon tu n’es rien, rien, une traînée, une moins que rien. C’est moi qui t’ai fait, qui t’ai sorti de l’ombre où tu étais. Personne ne t’avais vue. Moi seul, moi seul. Ne me refais jamais. La prochaine fois, je te jure, la prochaine fois, je te, je te. Écoute-moi, la prochaine fois, je te tue. Tu m’entends. Je te tue. Ne dis pas que c’est de ma faute, que c’est moi qui ai demandé. Ça me rend fou. Ne me provoque pas, sinon, sinon. Plus d’une heure que tu as mis, et moi, moi, moi qui me rongeait les sangs, qui m’inquiétait pour toi, traînée, moins que rien…

 

Celui que j’aime et redoute, mon beau prince au cœur mutilé, n’en finissait pas de hurler dans la nuit, de je me jeter son ombre à la face. Nique ta mère, nique tes morts, nique tes morts. Ses mots faisaient trembler le pavillon de mes oreilles, creusaient mon cœur, la nuit. Moi je restais là, tremblante, interdite, bredouillant quelques mots inaudibles, pour apaiser sa fureur. Sa colère d’homme, contre laquelle je ne peux rien. Je n’existe qu’à travers lui. Qu’à travers ses mains qui frappent la toile de tente, comme pour anéantir tout espoir de repli. Pas de refuge contre sa violence. Mais je ne dirai rien. Rien. Je suis la muette. Je ne donnerai aucun mot en pâture à son ombre, aucun. Qu’il se débrouille avec sa colère. Tant que sa main jamais ne se lève sur moi.

 

Je n’ai rien fait de mal. C’est lui qui a demandé. Toi, l’homme silencieux qui écoute, à côté, crispé comme un extravagant, tu m’entendras bientôt gémir dans la nuit, quand m’éloignant un peu, je l’accuserai timidement lui, Him, de m’avoir jeté dans la gueule du loup. Il aurait pu, le sombre Ya'aqov, m’imposer sa force, sa loi, poser ses mains trapues sur ma gorge serrée, mon cœur silencieux, il aurait pu, oui, il aurait pu, et toi, toi, c’est ainsi que tu m’accueilles, comme une souillon, une traînée, éternellement coupable de faire ce que les hommes lui demandent.

 

 

Crispé comme un extravagant.

 

 

Et si j’avais parlé à l’homme sans visage avant qu’il ne déploie dans mon esprit son théâtre d’ombres et sa machinerie comminatoire, qu’il fasse danser dans la nuit son esprit sans corps, ses mots de toile de tente, sa férocité superbe et abrupte ?

 

Si j’avais donné un visage à l’homme sans visage ?

 

L’offrande de mon visage.

 

Je suis là. Je te vois. Nous existons. Frères

humains. Voisins.

 

Nous sommes riches aussi de nos misères.

 

 

Mon calibre est chargé.

 

Ce n’est pas à moi. Je ne t’ai pas revu. Peut-on réparer ? Dire les mots ? C’est important pour toi ? Tu es venu.

 

Que de la langue, tu as dit. Que de la langue. Fallait pas, tu sais, le prendre au pied de la lettre.

Fallait pas. Qu’il a dit. Pas à moi.

 

Sa femme, il l’a jamais touchée. Qu’il a dit. Lui, c’était les insultes.

 

La même humanité.

 

 

 

 

 

 

Ce qui ne nous arrive pas ne nous arrive pas.

 

 

 

 

 

 

Abruti. Brute. Brutus. Je vais te planter. Tu quoque, filii mi. Et tu, Brute. Dans le bide, ma lame, mon ouvre-boite. Mon bistouri, mon canif, ma truelle. Mon demi-rond, mon saignoir. Mon surin, mon tranchelard.

 

Je vais te planter. T’assassiner. Te supplanter. Moi.

 

Pourquoi planter. Je vois des fleurs, des arbres, des graines. Pas des couteaux.

 

Le premier qui vient, je le supplante.

 

Tu peux aussi l’aimer.

 

 

 

 

Tu peux essayer de discuter avec un poète ivre.

 

Tu peux.

 

C’est bien, c’est parfait.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il n’y a pas de sentiments purs, mais il y a de la pureté dans nos sentiments.

 

Que tu disais.

 

 

 

 

Depuis combien

de temps n’as-tu

pas considéré

 

le premier venu

comme un dieu

déguisé ?

 

 

Quelque chose arrive, arrive vraiment. Je me demande ce qui nous arrive, alors. A nous, en nous. Que se passe-t-il. Tu sais, quand. Au niveau de nos cellules, de nos tissus. Gravé dans le marbre, la chair. J’ai un corps, un cerveau. Je suis un être vivant. Vivant, étrangement. En fait on ne sait pas, je veux dire, vraiment. Ce qui se passe. On peut sentir, quand même. Réel voilé. Derrière le voile, la toile de tente, on peut sentir. Une présence, nous-même, quelque chose se passe. En nous. On peut sentir.

 

Par exemple, la brise sur ta peau, le température de l’eau, le mouvement imperceptible de certaines choses. Le poids d’une main sur ton épaule, amicale, rassurante. L’offrande de quelques prunes, sur une route d’Espagne, par un vieil homme ému de te voir boiter.

 

L’émotion, comme une vague, qui remonte. La présence de ton ami, qui a compris. La qualité de certains silences, qui ne demandent rien.

La frontière si ténue qu’il y entre tes larmes, ta tristesse, ta colère. Même chose, à l’intérieur, qui remue.

 

Sentir qu’il se passe quelque chose. En être ému. Tu peux. Accueillir, être accueilli. Ça arrive. Être là, avec ta femme, tes enfants, dans la splendeur intacte du jour.

 

Tu peux sentir, en fait, que tu es vivant, absolument.

 

 

 

 

Mais, je.

Je connais des hommes doux. Je veux dire, vraiment. Leur douceur est redoutable. Baisse la garde ; à leur côté, tu peux être qui tu veux. Mais sois-le bien.

 

Je suis le fils d’une telle douceur. Taillée dans le cristal brut du silence.

 

 

 

 

 

Fais ce que tu veux, mais fais le bien. Qu’il a dit. C’était près de l’étang, au temps des exercices, notre maître parlait parfois une autre langue, soudainement. Qui vous étreignait l’esprit, et le cœur. Ses mots nous pétrissaient, nous enveloppaient. Nous étions sur le sentier de la paix, depuis tant d’années. Nous peaufinions notre art, sans broncher, avec une grande application. Ouvre les yeux, qu’il a ajouté. Ressens. Donne de la consistance à ton regard, ton toucher. Il est absolument nécessaire que tu fasses vivre avec. Rendre vivant. Faire exister. Toi, l’autre. S’il n’existe pas, c’est sa violence. A la place. Sa violence, le visage de sa violence. Et la tienne. Tu ne veux pas le voir. Alors, fais le vivre avec. Fais-le.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jusqu’au lever de l’aurore.

 

On s’est retrouvé tous les quatre, dans la splendeur intacte du petit matin, autour d’une table, sur la terrasse déserte. Au lever du jour. Et quelque chose en moi boitait, restait froissé comme un papier de verre au fond d’une poche déchirée. Tous les quatre, dans l’étonnement du jour, parlant bas. Pour ne pas réveiller les gens. Les chemins sont déserts, les chaumières sans voix, / Nulle feuille ne tremble à la voûte des bois. Comme il dit. Dépliant nos corps, comme des nouveaux-nés. Une douceur un peu surnaturelle, cotonneuse, nous enveloppait.

 

La nuit a rendu l’âme

Voici le jour : un pieux

silence, comme une lame

Fait miroiter l’air bleu.

 

Nous quatre. La brise du matin, si tendre, délicate. Dépliant nos corps. Quelque chose nous enveloppait.

 

 

 

 

 

Faire en sorte qu’ils trouvent un chemin en toi, sans que ça te coûte. Un vrai miracle. Qu’ils disent. Quelque chose, oh presque rien. Mais aucune leçon, ça non. Aucune leçon. Presque rien : quelque chose de consolant comme une musique. Qui répare nos blessures. Qui guérisse. C’est pour ça que. On n’est pas né de la dernière pluie. Toi aussi, tu sais. Échoué, comme moi, comme nous, au bout de l’allée, avec pour seul rempart ta maigre toile, tes misères – navire perdu à la recherche de ce qui pèse, et des mots pour le dire, du rythme idoine pour faire battre le cœur, pour revivre, pour renaître.

 

Pas de leçon à te donner. Jamais.

 

Je suis le fils du silence.

 

De la terre grasse et odorante dans laquelle on plonge les mains, comme dans une eau de vie.

 

 

 

 

 

En toute rigueur, un bruit

blanc ne peut absolument pas exister

car une densité spectrale

identique - pour toutes

les fréquences conduirait à une variance, mesurée par l'aire sous la courbe, infinie (et donc une puissance infinie).

 

Et donc une puissance infinie. Le bruit blanc de la conscience du poème. Je me demande ce qui arriverait si. Ce qui serait arrivé. Le bruit blanc. Tout ce qui ne peut absolument pas exister. Absolument pas. Finit par peser. Sous la courbe infinie, le ciel. Une densité spectrale. Ce qui arrive, quand. Nos démons, nos fantômes. Plasticité synaptique. Ceux qui sont morts. Absents. Abonnés. On peut mourir, je te jure. Absolument pas exister. En toute rigueur. Heureusement, ce n’est pas mesurable. Absolument pas mesuré. Absolument pas. Sous la courbe infinie du poème. Vivant. Le sentiment que nous sommes éternels. Absolument.

 

Et donc une puissance infinie.

 

 

 

 

 

J’ai au moins retenu ton nom : Him.

Je te connais, Him.

Je ne te connais pas, Him

Père de la multitude.

Un paysage est une étendue qui se trouve sous le regard.

Un homme tissant sa toile. Chose pensante.

Bruit blanc de la conscience.

Une rencontre est le croisement de deux trajectoires.

Je suis venu dans la nuit pour te demander d’exister moins fort.

Corpusculaire et ondulatoire.

La réalité n’a pas besoin de moi.

Splendeur obstinément intacte du jour.

Je suis revenu pour te demander d’exister plus fort.

Him, père de la multitude.

 

 

 

 

Remués, de bien des façons. Un brin fêlés. Fissurés. Pareils aux flots de la mer agitée par des vents contraires.

 

Nous flottons.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Peut-être est-ce à nous que cela arrive.

 

Ce qui arrive nous arrive, à nous.

 

Ce n’est jamais à toi que ça arrive, toujours à nous.

 

Jamais à moi, toujours à nous.

 

 

 

 

 

 

 

 

Écrire, pour se taire.

 

 

 

Il y a dans la matrice du temps bien des événements dont il va accoucher. Dans la langue de Shakespeare. Othello, tu sais. Tu fais des rencontres, des gens, des auteurs, tu vis, tu lis. Tu écris. Tu sais, il disait: Voilà longtemps que je considère le monde ; et, depuis que je peux distinguer un bienfait d’une injure, je n’ai jamais trouvé un homme qui sût s’aimer.

 

Je ne sais pas comment ça va finir. Tout ça. Peut-être jamais. Comme à Nantes : Terminus, Jamet. Il faut pourtant. Même si, tu sais, je ne sais plus parler. C’est bien. C’est ce qu’il faut. De tout façon je ne savais pas. Où je voulais en venir. Je ne savais plus.

 

Tu crois que tu peux devenir sage, et puis plus rien ? Oublier ce que tu savais. Tu sais, comme cet écrivain que tu as lu. Sentir l’ombre remonter, après la lumière.

 

Le mot sagesse. Dis le à voix haute, pour voir. Existe. N’existe. Parfois, tu ne sais plus.

 

Tes ancêtres travaillaient la terre. Tu pourrais cultiver ton jardin. A défaut de tomates, des poèmes. Tu te souviens, quand ta grand-mère te serrait très fort, au moment de partir. Tu savais, alors. Que tu existais, et elle aussi. Tu savais. Vraiment.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Devenir un homme qui sait s’aimer. Voilà.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quelque chose nous enveloppe.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nous flottons.

 

 

 

 

 

 

 

 

Je ne savais pas que je lui donnerai ce visage. Ce visage-là.

 

Et qu’il me donnerait celui-là, en retour, au-delà des masques, au-delà des mots, sans eux, avec eux.

 

Je ne savais rien.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En même temps, je ne pouvais pas lui donner un autre visage que celui-là.

 

Pouvait pas.

 

Lui, mon poème.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce qui nous arrive.

 

 

 

Nous.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Arrive.

















 



15/01/2020
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