Poèmes à angles droits #1-21
DE ROUGE ET DE CHAIR
Poèmes à angles droits
Je capte les pensées fugitives, la prose bop
spontanée, le cut-up des langues, sans hiérarchie,
ni sélection. Rien que la vie brute.».
Lucien Suel
"Et comme toujours dès cet instant
On n'y comprends plus rien."
Nicolas Bouvier, "Pris à la nuit"
#1 L'OISEAU FARIBOLE
Au secret des formes au fourneau
des signes enchevêtrés comme les
branches d'un buisson, se dresse
l'oiseau faribole, hiératique et
tendre, dans sa robe de couleurs
et ses fragments de mystère gris
Son corps transi se fait murmure
Prière magique son oeil est fixé
Sur nous sur la misère sans voix
Qui nous déchire qui nous encage
O dieu chétif j'ai peur que d'un
battement d'aile tu disparaisses
Et le monde avec toi le monde si
beau et toute trace de ton amour
#2 L'ART DE LA SPIRALE
« Article 3 – Le code de l'éducation
est ainsi modifié :
1° A l'article D. 131-11, les termes :
« D.122-1 » sont remplacés par les
termes: D. 122-2 » ; »
BO n°17 du 23 avril 2015
Il est question de l'éducabilité spiralaire
L'axe curriculaire de la réforme - l'outil
il n'existe pas encore mais ça va venir ils
le construisent on ne sait pas quand ni qui
On mettra tout ça dans le folios on va tout
balancer mais qui a un ordi et la copine au
fin fond du Gers elle a commandé quoi – des
tablettes on apprend alors en faisant aussi
des gestes tout dépend de l'établissement -
C'est bien ça le problème ils réfléchissent
je suis dyslexique comment on fait nous oui
comment on fait les délais sont ahurissants
C'est pas fermer les portes mais les ouvrir
Après maintenant il y a des choses, y a des
jeunes qui ont des profils, mais comment on
fait comment on fait ça on ne sait toujours
pas comment on fait - t'as qu'à l'appliquer
on t'enverra le diapo avec tous les axes le
parcours la problématique, tout le tintouin
C'est l'art de la spirale : on va en mettre
partout des spirales et de l'éducabilité de
la fabrique d'élèves de l'outillage oui oui
Ça peut être spiralant aussi - mais pas non
non pas désopilant il suffira de faire ceci
et cela tant que c'est soclé et cyclé ça va
De se projeter dans un monde mais lequel le
monde de qui ? Avoir un point de vue sur la
chose, globalisé bien sûr incontournable il
faut y réfléchir, susciter l'appétence pour
les alignements voilà où ils en sont – vous
allez voir – faut pas dire langue morte non
non nous dans notre établissement c'est pas
obligatoire on peut imaginer, il va falloir
être bien à l'écoute le son est très faible
On ne comprend rien: de quel arbre on parle
l'arbre de la connaissance désolé inaudible
On ne vérifie jamais le travail de l'autre,
C'est pas comme des cours normaux ils ne se
rendent pas compte que ça travaille et nous
est-ce qu'on est au courant, on est là pour
ça pour quoi ? On ne sait toujours pas on y
travaille, il paraît que sans bonne volonté
ça ne marchera pas - il faut les avaler les
couleuvres c'est la forme de la réforme oui
il faut les avaler ha bon ? C'est très très
comme ça très très spiralaire, tu sais bien
la république des enfumeurs hé tu l'as déjà
visité toi le cimetière des reformes ? Non?
C'est là qu'il est un peu désabusé ho ! Dis
Tu as presque un discours révolutionnaire !
Mais comment on fait oui comment ? Et si et
si on imaginait autre chose autre chose oui
#3 LE FESTIN
Des lianes au coeur de la jungle
pour passer d'un désir à l'autre
pour s'enrouler au clocher de la
conscience : libère-le libère-le
ton animal totem porte fièrement
ta couronne de plume et le bâton
des rêves secoue-le bien ton cri
est multitude ton âme est pli tu
verras ça bruisse et s'agite les
hérons d'acier sont là le festin
a été offert : au loin au refuge
les mots dansent dans le silence
du soir, et l'on découvre en soi
Le serpentement brun du souvenir
#4 BEARDLESS RIVER
Au pied de la tour près d'un
rideau rouge, nous sommes là
au BAR lettres rouges sur la
cheminée grise tous les deux
solo solo de batterie et sax
en mode free jazz - les voix
humaines se mêlent à la muse
à la musique - deux habitués
parlent du petit journal oui
du dernier scandale extra ho
extra vedette white, je suis
avec mon fils le Hâvre coule
à deux pas je me sens bien ô
oui dans cet amour cet amour
#5 LE DECOR
Tu te jettes avec fougue vers la
bouche creuse de l'avenir et ton
esprit se fige, se pend au décor
comme à la clé du mystère – mais
non regarde, c'est à l'intérieur
qu'il faut habiter oui au secret
du corps - au coeur même de tout
mouvement. Si ton être naïvement
se donne à ce regard sans regard
à cette ivresse blanche alors tu
n'auras plus le vertige du décor
Tu te fondras dans le ying et le
le yang de tout désir, ô lumière
d'un signe élargissant le monde!
#6 ZONE PROXIMALE
"Échelle descriptive. Mémoriser,
niveau 2 : Je restitue une partie
cohérente de ce que j'ai appris."
Tu es entré dans la zone proximale
de développement de ton ennui – la
répétition la répétition, jusqu'au
point de rupture. Qui osera passer
en mode pompier pyromane ? Sortons
les échelles uniformes pour situer
le niveau de calcination des nerfs
la saturation du vide au creux des
des mots encagés. Tout cela manque
de vert, de rouge et de chair – et
pourtant! Nous sommes bien vivants
mais de quelle manière ? Je sais ô
je sais que la langue est un monde
un corps lourd et beau à étreindre
#7 LE MONDE EXISTE
Combien de mots morts ce matin
shamanisés par la maîtresse de
cérémonie - et pas de fenêtres
pour rêver que dehors le monde
existe que nous sommes vivants
la porte grise est bien fermée
- cadenassée par l'imperium de
la pharaonne ô voix lancinante
et blanche, tissée de nuit, je
ne vois plus - dans sa verdure
factice - que la promesse pâle
du mot sortie je marche sur le
fil phosphorescent des mots et
la ligne convexe de mon esprit
#8 L'EMBRASEMENT
A Virginie
Ça j'ai connu oui connu je crois
J'étais là avec toi on attendait
que quelque chose nous prenne et
nous soulève, quelque chose mais
C'est autre chose qui est arrivé
On ne s'y attendait pas l'espace
s'est soudainement élargi, évasé
- le monde s'est embrasé en nous
J'ai senti ô comme dans un songe
la rotation des sphères dans mon
ventre - le rideau frémissant de
ton corps - comme un tapis d'eau
La mort m'a ébloui mais le chant
de ton amour m'a ramené à la vie
#9 MAGRITTE MARTYRISÉ
Si ça n’apparaît pas dans les tableaux
Est-ce que ça existe vraiment? Il faut
martyriser les documents les flageller
torturer mortifier la pensée – jusqu'à
l'amollissement de toutes ses fibres -
et assister à la prolifération joyeuse
des idées à la con. De toute façon, on
s'en contrebat les steaks - ça passe à
la trappe in extenso - Mais c'est quoi
au juste la poésie ? Tu peux mettre un
slip sur L'origine du monde, qu'est-ce
que ça change ? T'as plus qu'à envoyer
tout balader façon puzzle – Tu sais il
est con ce Magritte ouais vraiment con
#10 GRONDE
Les yeux clos c'est maintenant
que tu dérailles: ce parfum te
monte au nez ton esprit semble
traversé oui par l'odoriférant
mystère de ce corps adjacent ô
tissu des bras fragrance de la
chair à l'épreuve du ventre où
creuses-tu donc où chantes-tu?
Gronde gronde - comme un train
lancée à toute vitesse, gronde
dans les profondeurs oublie la
forme de ton âme – plonge dans
le Big Bang, dans la radiation
trouble de ce cri rose et muet
#11 LA NUIT DANSE
Shakti de l'ombre fille de l'oubli
Je perçois le poids dense et léger
de ton corps ô troublante danseuse
à peine entrevue, je sens sous mes
doigts frémissants la pulsation de
tes hanches, de ton ventre, de ton
cou, comme une ivresse au creux du
ventre et de l'âme - et la caresse
humide de tes cheveux sur ma peau,
quand tu reviens vers moi soudain,
pour de nouvelles épousailles - et
je ne sais plus vraiment qui danse
qui, tout n'est que souffle et vie
convergence des cœurs dans la nuit
#12 MOLESKINE
Au début le regard du douanier
la fantasmagorie de l'Irlande,
maintenant in fine la solitude
de la pensée dans son corps de
brume, phosphorant sous l'oeil
blanc des pics ô Mont-Perdu du
souvenir oui j'envie l'altière
radicalité du vautour dans son
refuge aérolithe ô silence des
nuages, mer de lumière - ainsi
c'est ici que que je finis sur
le pâle contingence - Le temps
est venu de poser sous ta peau
noire l'émouvant mot de la fin
#13 LE PATRON N'EST PAS
ENCORE CHAUD
Pris mes quartiers aux Quatre Vents
A ma place habituelle, dans le coin
Ha Tiens le grand large a perdu ses
couleurs le géant de Bloas est mort
- Effacé oui mais pas de ma mémoire
Ö langue râpeuse des bancs - rousse
comme la vareuse des marins d'antan
Le comptoir est un bateau ivre, aux
joues vertes et brunes ses sourcils
d'or m'invitent et me font de l’œil
La sirène d'un bateau fait trembler
les vitres de mon repaire sa lourde
carcasse grise s'ébranle avec peine
dans la lumière du jour vers le bel
et morne horizon au large des quais
Sous l'étale de la table, une carte
marine déploie ses méandres, oppose
ses reflets cabalistiques à ceux de
mon verre à la transparence émue de
l'écume et des mots. - Un café pour
Commencer. Je vous apporte ça. Pour
commencer. Mais commencer quoi ? On
verra. La sirène, c'était peut-être
pour célébrer la fête de l'eau, ils
fêtent ça en Thaïlande son fils est
là-bas, dit un habitué en observant
sa mousse qui pétille - Ha bon mais
on devrait la faire, nous aussi dit
le patron ça nous ferait pas de mal
non ? Tu déconnes ou quoi ? Ici pas
besoin c'est pas l'eau qui manque ô
non mais quant à la boire c'est une
autre affaire. Fin de la discussion
Le patron n'est pas encore chaud oh
non personne d'ailleurs non le jour
éclaire trop crûment les mots et le
visage de l'autre. Quel silence oui
soudain autour du comptoir. - on ne
pipe plus mot - je ne vois plus que
leur dos Leurs épaules immobiles la
divagation de leur regard. Le Grand
Large, dehors, dresse sa silhouette
immense au-dessus des quais – c'est
l'heure d'avant, d'avant les choses
sérieuses - l'heure où l'on murmure
encore où les blagues même les plus
grasses se disent avec une certaine
douceur: vrai on ne sait pas encore
si l'on va se jeter à l'eau larguer
les amarres. - Aimes-tu n'avoir pas
quelque chose de précis à faire, ou
à dire? C'est reposant, non, d'être
juste là avec les autres si on veut
on pourra boire une autre bière oui
et se laisser emporter par le large
#14 CETTE CHOSE-LA
(Joyce-âge collatéral. Lecturification.
Mind collision)
"Disez-moi. Qui c'est qui rince ?
Orgueilleux possesseur de peau
de balle. Je passe la main."
James Joyce, Ulysses
( trad. J. Aubert)
N'est-ce pas plutôt brouillard – cette chose-là
ce mystérieux emportement à l'intérieur partout
N'est-ce pas bloomesque délire que de convoiter
L'hinterland délicat et sautillant de la pensée
N'est-ce pas la seule façon de vivre pleinement
la frénétique énigme du réel : oui fais chanter
la conscience – comme une herbe, jette-toi dans
le torrent multicolore et hagard dans le ventre
plein du langage - roule-toi dans le substratum
sursaturé trompe l'oeil et la mort au rythme de
ton ivresse démente ! Forgeron obscène, tu sais
faire chanter la parturiente la rouler dans les
mots comme un petit caillou, ô verveux mensonge
embrené de rayons factices, d'éclats de vérité!
#15 EVERYWHERE
"Un arrosage de cette violence, me
dit-il, a dépêché grand train plus
d'un infortuné dans un monde meilleur. »
Ulysse, James Joyce.
Il faudrait mettre
de la poésie every
where partout dans
le monde oui de la
liberté partout et
oui de la solitude
amoureuse, rêveuse
musique à vraiment
réveiller les dead
de la musique pour
les sourds et quoi
partout des poèmes
contre l'usure des
mots, la grande et
la petite fatigue,
toute la - ô toute
oui la mesquinerie
intérieure rien oh
rien ne sais – les
aliments crus quoi
c'est mieux? Alors
il faudrait fondre
tout ça - toute la
délicate imposture
dans un chant mais
alors un putain de
vacarme polychrome
car à la fin aussi
attendre ça blesse
ça vide, ça épuise
on n'est plus rien
aussi bien rien du
tout - mais j'aime
bien la voix ô oui
de cette chanteuse
c'est de l'anglais
et même le troquet
il vibre et tourne
partout partout il
faut en caler pour
se sentir vivant ô
c'est une question
de rythme que donc
dit Lorca à propos
du Duende et aussi
du sang - le cante
jondo de l'univers
- ô grand bouillon
céleste le serveur
on dirait mais pas
tout à fait non un
acteur connu ô oui
de la mesure de la
cadence du souffle
every partout pour
caroliférer la vie
et faire danser le
prosaïsme échevelé
de nos désirs mais
les plus coupables
hop! ça me revient
subitement – comme
une droite bim bam
les poèmes du noyé
Maître Castrec ses
vers consignés sur
la pauvre nappe en
papier - sa poésie
griffonnée enlevée
L'Antéchrist blême
L'Ogre d'Audierne,
ça me revient fort
et vivant – vivant
et lui mort éteint
enseveli mais quoi
vivant encore, oui
ça me revient : le
signe fantasque de
son destin ne peut
être effacé non ni
l'inédit et vivant
poème de sa courte
vie ô désinvolture
panique splendides
matinées - tu veux
voir le jour viser
son coeur virginal
tu veux mettre oui
partout everywhere
tes mirages tordus
et ta folle poésie
#16 TERRE DE SOUFRE
Solfatare ! Fumée dans les regards
Noir de gris des éboulis pour dire
l'imperceptible, le freemind de la
pensée vide: pas d'idées neuves en
nous – même soupe, grosso modo, or
seule la chose vécue compte le sel
la forme singulière du monde vu et
recréé au miroir tendu des rêves ô
sorcellerie évocatoire mirage bleu
au cœur du réel – il faudrait sans
doute inventer des machines sonder
mesurer tout ce qui bouge oui tout
fouiller retourner les interstices
pour trouver modo verbo : l’inouï!
#17 ON PEUT AUSSI
SE TAIRE
Poème idiot
A Marc et Émeric
Le casque audio ne fonctionne pas
tu peux essayer, tu verras le son
est pourri et puis quoi qu'est-ce
qu'il baragouine - le vieux poète
barbu - le vieux Ron derrière ses
lunettes on n'y comprend rien mon
pote à son alphabet c'est nul nul
C'est vrai qu'il fait chaud alors
que se passe-t-il ? Silly man oui
Silly le poète oui un idiot oh un
parfait imbécile: on est libre de
foutre le camp - on peut faire ce
qu'on veut, autre chose écrire un
poème sanglant dans l'ombre faire
le chemin à l'envers, attendre au
bar. J'écoute j'écoute : ça berce
au fond la voix humaine, ça vibre
ça se dépose, ça se tend mais les
regards c'est autre chose, il y a
des gens qui vous voient vraiment
qui vous rendent réels – le chant
de l'homme idiot me traverse, les
mots de sa langue boum ça me fait
penser au matin à l'idée du matin
dans une grande ville je vois oui
Philadelphie il fait froid, et la
lumière est comme de l'or bleu et
roux qui brille dans les rues oui
et Rocky Balboa je le vois courir
entre les lignes n'est-ce pas Ron
As-tu la liberté de rêver, d'être
poète à la place du poète - ou au
même moment ailleurs quelque part
Oh mes enfants, que se passe-t-il
en nous? On peut se taire écouter
le bruit que font les mots, coeur
et monde - le bruit en nous et ce
qui se condense en eux la part du
monde et de notre chair - tout ce
qui bouge, les membranes – toutes
les conduites d'air - ô silly man
tu crois au monde nu - au langage
des angles, au chant des toitures
et à la maladresse des hommes, tu
crois à la magie des croisements,
à la délicatesse des vitres - aux
voix qui tremblent et s'enroulent
aux traducteurs maladroits de nos
vertiges de nos éblouissements oh
merci bien Do you want speech? No
Thank you donnez-moi le manuel la
bonne fréquence - tu sais son ami
il n'a pas dit un traître mot non
pendant plus de cinquante ans pas
un mot un putain de silence toute
sa vie t'imagines et puis un jour
il déménage et là - son nom c'est
Larry – là il est comme environné
de poètes, une vraie nuée de gens
comme lui oui qui se taisent avec
éloquence alors le mec il devient
intarissable, on l'arrête plus de
causer de dire le monde tel qu'il
l'a vu pendant tout ce temps, oui
Berkeley born again et alors quoi
il faut que quelqu'un écoute faut
changer de place pour se trouver?
On peut se casser disparaître, ou
penser à autre chose – griffonner
quelques mots sur un carnet tirer
sur le fil au fond ne sommes-nous
autre chose oui, qu'un long poème
fulgurant et décousu rien d'autre
au fond comme au cinéma - je l'ai
lu le poème - il était bien caché
dans la voix du vieux Ron je l'ai
lu oh j'ai rampé dans la conduite
d'air, monstrueux, défiguré et vu
le cinéma rouge de l'esprit toute
la mécanique inutile du désir oui
comme au cinéma : je m'imagine au
volant d'une caisse, une cadillac
dans le trafic - dans la conduite
et je me fonds dans le décor dans
la barbe du poète, et je sens oui
tout près de moi posée là vivante
la présence silencieuse des kids,
des enfants qui n'attendent rien.
#18 TU PEUX DÉCIDER
Tu poses tes affaires sur la table
ta main c'est frais et même : doux
Tes livres et ton carnet, au coeur
des autres livres, dans l'écrin du
marchand et l'aspect d'un café que
tu aimes tant où tu te sens bien ô
oui tu peux écouter les gens faire
un point sur leur carrière évoquer
des trucs avec leur éditrice parce
que si tu veux oui il faut qu'elle
prenne de l'avance là-dessus rires
tu peux décider - bien grand mot -
de ne rien commander (ou résoudre)
Observer avec attention une petite
carte - la retourner dans tous les
sens silencieusement comme un oeil
Quelques vers d'un poème les faire
résonner en toi et troubler ce que
tu croyais être le réel écouter le
bruissement des visages - le corps
du langage et l’œil de la pensée -
Sentir la palpitation du bois sous
tes doigts – l'orage des mots dans
les nervures du poème, oui tu peux
faire ceci ou cela mais aussi bien
oh tu ne peux détacher les yeux de
la maîtresse des lieux la discrète
amie de l'amoureux des livres – du
poète nu et désœuvré: tu vas ainsi
connaître l'insensée machine de la
Beauté, sa rouge irréalité, sentir
le monde vaciller au gré de ses va
et vient et te laisser transpercer
soudain par la fulgurance brune de
son regard le foudroyant sortilège
de son sourire - aussitôt disparu!
#19 TOI CLOWN
A mon filleul
Je suis le plaisant charlot Turlupin
Roi des couleurs, et de la Sarabande
Pourfendeur de cauchemars, et gredin
rieur fredonnant sous ma houppelande
Dis-moi mon cher Gauthier, goûtes-tu
le gaulois gazouillis de mes vers et
veux-tu bien que gauchement tonitrue
ma tocade, mes grelots et mes fées ?
J'ai dessiné, dans les plis fastueux
de mon frac, de consolantes musiques
et d'émouvants sourires - et je peux
Quand la nuit vient tricoter de doux
rêves pour toi dire allo mon loustic
Moi Turlupin Bobèche roi des loulous
#20 CHRISTMAS CUT-UP
La guirlande aux lèvres comme une langue
tordue. Gélatine des mots ensourdinés et
l'épineux bonnet vert dans la gorge pour
les étouffer encore un peu plus - et toi
Tu peux penser à toutes sortes de choses
Être là sans insister mais là quand même
La peau de ton crâne est tendue comme un
miroir - ce n'est pas que tu sois absent
mais le monde lui-même a beau s'enrouler
en toi, il ne parait pas bien établi non
non non non pas bien établi le monde non
et toi non plus, tu n'es pas bien établi
#21 FEED BACK
Le vrai problème c’est le
vrai problème oui vrai on
a un vrai problème – quoi
un problème de compétence
au sommet mais haut, mais
oh mais sot au sommet, le
vrai problème, c’est quoi
tu sais, qu’ils n’ont pas
de compte à rendre, tu tu
peux l’imaginer ça, te le
fourrer dans le crâne non
Pas de compte rien, aucun
Au sommet de l’État je je
je veux dire au niveau de
tu vois, de la gestion de
la crise, tu sais tu sais
oui lu ce matin ça tourne
ça tourne sur les réseaux
sociaux, contre l’intérêt
Contre quoi ben l’intérêt
général trahis - trahison
Intelligents et corrompus
Hypnotiseurs d’une France
inquiète confinée mais oh
moi je ne sais pas mots à
quoi servent je ne non ne
peux dire ce que queue ma
queue je vais en faire de
tout ça de ce merdier non
peut-être en rire ou bien
un poème décousu un poème
un de plus pourquoi, hein
peut-être pour guérir oui
de tout ça, de ce bavarda
bavarda bavardage oui oui
de ce bégaiement bègue ba
varde ma biquette bavarde