Demande à la poussière

Demande à la poussière

Quarantaine #2 Bob Dylan et moi

 

Je ne sais pas à quoi

sert un poème

peut-être à donner une

voix aux fantômes

 

Hier soir, dans la nuit

de mon confinement, a

brillé Murder Most Foul,

le dernier morceau de Dylan

 

Je ne l'avais pas encore

écouté - ce trésor m’attendait

sagement depuis son

dévoilement impromptu

 

En écoutant la voix parcheminée

du vieux saltimbanque

J’ai repensé à la cassette

achetée à Plymouth

 

lors d’un voyage scolaire,

au walk-man gris dans

lequel je l’écoutais

en boucle, aux écouteurs

 

en mousse et au pouvoir

merveilleux qu’ils avaient

de me couper du monde

- ou de lui donner une couleur

 

nouvelle – à Franck

l’ami précieux, qui le

premier me parla du

maître des enchantements

 

raison pour laquelle, dans

une petite boutique au bord

d’un trottoir, j’investis sans

le savoir dans le précieux sésame

 

Première rencontre avec

l’homme à l’harmonica

Et l’émotion comme une vague

montant lentement du fond ma jeunesse

 

riche désormais des années

accumulées, des mille visages de

ma vie mêlant leur voix frémissante

à celle de l’homme invisible

 

Hey Mister Bob, monsieur

Dylan, joue une chanson

pour moi : l’heure est aux

fantômes et aux souvenirs

 

Un écrivain louait une chambre

chez le couple de vieux anglais

qui nous logeait, un camarade de

classe et moi. Il avait un dictaphone

 

et écrivait des livres d’histoire, je

crois. Vers la fin de notre séjour,

passant dans le salon où nous

nous détendions et reconnaissant

 

la chanson Mr Tambourine man

(j’avais mis ma cassette dans la chaine

Hi-fi) il nous lança d’un air malicieux :

"Ha vous écoutez ça, vous ? Très bien,

 

très bien." Conférant immédiatement

à Dylan un prestige supplémentaire,

en sa qualité d’écrivain - le premier

que j’eusse rencontré de ma vie -

 

et d’être iconoclaste, dont la vie

telle que je l’imaginais devait être

si riche et aventureuse, si éloignée

des mesquineries de la vie ordinaire,

 

(se rendre au bingo semblait a contrario

une chose très excitante pour nos

hôtes) que son avis avait la puissance

d’un oracle. Faveur insigne pour les

 

jeunes lycéens que nous étions, il

nous avait même payé un verre

dans un pub, un jour où nous l’avions

accompagné dans la campagne anglaise

 

pour faire des "repérages". Je

crois qu’il s’appelait Franck,

lui aussi, et je me demande

s’il est toujours vivant - s’il

 

a eu la chance d’entendre

Murder Most Foul, la dernière

chanson de Dylan, ce long poème

mélancolique qui prend aux

 

tripes, au coeur, aux fantômes

ce long murmure qui m’a délicatement

soulevé de sa voix large et hantée,

pour me conduire jusqu’ici

 

Hey Mister Tambourin

Man, joue une chanson

pour moi : l’heure est aux

fantômes et aux souvenirs

 

Hé l'homme au tambourin

play a song for me :

certaines choses demeurent

d’autres ne sont plus



21/04/2020
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